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Maida Hundeling (Senta) et Thomas Gazheli (le Hollandais).

 

Absent du répertoire de l'Opéra de Montréal depuis 1993, Wagner effectue un retour en force avec un Vaisseau fantôme qui hantera longtemps nos mémoires. Le mérite en revient en premier lieu au metteur en scène américain Christopher Alden, dont la production a d'abord été montée en 1996 à la Canadian Opera Company de Toronto, où elle fut ensuite reprise en 2000 et 2010. Spectacle puissant, dont l'évidence théâtrale s'impose dès les premiers instants, ce Vaisseau fantôme se déroule dans un espace unique fortement incliné vers le côté cour, ce qui permet notamment de suggérer l'instabilité d'un navire grâce aux mouvements des chanteurs. Sous le timon, du côté jardin et dans l'espace formé par la surélévation du plancher, se situe une sorte de cale mystérieuse s'apparentant à une prison et qui, lorsqu'éclairée de rouge, symbolise l'équipage maudit du Hollandais volant.

Exploitant au maximum les multiples possibilités de ce décor fascinant, Christopher Alden possède en outre une qualité rare, celle d'animer le chœur avec une cohérence et un impact dramatique exceptionnels. Comment rester indifférent par exemple au chœur des fileuses, qui répètent implacablement les mêmes gestes mécaniques des bras et des pieds en suivant le rythme obsédant de la musique ? Le début du IIIe acte, avec son atmosphère festive qui vire au cauchemar, constitue lui aussi un autre grand moment de théâtre. Dans les tableaux avec le Hollandais ou Senta, le metteur en scène joue habilement de l'indistinction entre fantasme et réalité. Ainsi, c'est la section du mur où est accroché le fameux tableau de « l'homme pâle à la barbe sombre » que Senta ouvre pour révéler le Hollandais presque complètement de dos, abîmé dans la contemplation du portrait de Senta, et qui ne se retourne qu'au moment où Daland le touche. Plutôt que de se jeter dans la mer à la fin de l'œuvre, Senta est ici la victime d'Erik, qui l'abat de sang-froid avec son fusil.

L'Opéra de Montréal a réuni une équipe de chanteurs doués pour le jeu scénique et qui habitent véritablement leur rôle. La vedette de la soirée est sans conteste la soprano allemande Maida Hundeling, Senta stupéfiante de musicalité, de beauté vocale et aux aigus percutants. Plus inégal, Thomas Gazheli n'en campe pas moins un Hollandais très touchant ; après un Ier acte au cours duquel il cherche ses marques et éprouve du mal à projeter une voix parfois détimbrée, il se ressaisit dans les actes subséquents. Reinhard Hagen est un Daland intéressant, mais la voix manque de rondeur et il pourrait mettre davantage en relief le côté truculent de son personnage. Si la voix de stentor d'Endrik Wottrich ne convient pas idéalement à Erik, il n'en demeure pas moins un très solide chanteur. Emilia Boteva, superbe Mary, et Kurt Lehmann, timonier aux intonations douteuses, complètent la distribution. En dépit de quelques attaques imprécises, le chœur s'est montré dans l'ensemble magnifique. À la tête d'un Orchestre Métropolitain qu'on aurait souhaité un peu plus fourni, en particulier dans les cordes, Keri-Lynn Wilson dirige avec fougue et sensibilité la partition de Wagner. Acclamé par le public, le spectacle est à marquer d'une pierre blanche dans les annales de l'Opéra de Montréal.

L.B.

Lire aussi notre édition du Vaisseau fantôme : ASO n° 30.

 
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Thomas Gazheli (le Hollandais). Photos Yves Renaud.