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Dans sa note de mise en scène, Vincent Huguet dit avoir voulu dépasser le folklore orientaliste de Lakmé et évoquer, au-delà même de l'Inde coloniale du livret, l'impossibilité de la rencontre entre deux cultures et deux mondes, celui du rêve incarné par l'héroïne et celui du réel qui s'oppose à son amour pour Gérald. Lakmé ici est blonde et ne porte pas de sari, sinon celui – rouge – dans lequel symboliquement son père l'enserrera juste avant le fameux air des clochettes. Il n'empêche que si l'intention est juste, la transposition dans une Inde contemporaine, où les uniformes anglais ont disparu, où les Européens sont devenus de simples touristes, ne fonctionne pas vraiment. D'abord parce que le livret ne peut se passer d'un arrière-plan historique, quel qu'il soit, susceptible de justifier la tension – voire la violence – entre les deux groupes ; ensuite parce que, plus prosaïquement, l'espace scénique est définitivement bloqué pendant trois actes par l'emmarchement censé évoquer les bords du Gange, qui oblige à des entrées et des sorties latérales systématiques, empêchant en outre de donner aux scènes complexes de foule du IIe acte un minimum de mobilité. De fait, la mise en scène laisse souvent un sentiment de maladresse et de manque de fluidité. D'emblée, le premier tableau où le chœur lave des oripeaux dans les bassins de l'avant-scène avec force clapotis tandis que s'élève la prière à Dourga, paraît trivial. La poésie a bien du mal à naître sur ce plateau nu en totale contradiction avec un livret qui parle d'une nature luxuriante et de ses sortilèges, et quelques vélums, même subtilement colorés, ne peuvent compenser un certain sentiment de pauvreté visuelle. On sauvera quelques bonnes idées : les danses des bayadères singées par les touristes à qui elles sont masquées, le chant de Lakmé qui fait accourir la foule, la scène de la conspiration finement mise en scène. Quelques tableaux comme celui de la fête nocturne de Dourga parviennent aussi à instaurer un certain climat mais l'espace scénique peine à se renouveler malgré des lumières plutôt réussies.

Sur le plan musical, le spectacle tient mieux ses promesses. Sabine Devieilhe se révèle comme la plus évidente titulaire du rôle entendue depuis Natalie Dessay, avec des aigus immaculés et un timbre suave qui n'exclut pas un medium nourri, lui permettant de restituer avec crédibilité la maturation du personnage, de la femme-enfant du premier acte à celle qui meurt par amour au dernier. Son sens de la coloration suggère à merveille la mélancolie de l'héroïne, voulue par le compositeur et bien saisie par le metteur en scène. Et si quelques suraigus semblent encore un peu serrés dans l'Air des clochettes, nul doute que l’expérience ne tardera pas à leur apporter la rondeur nécessaire. Gérald est sans doute un rôle un peu large pour le ténor léger de Frédéric Antoun dont le timbre paraît méconnaissable, avec un vibrato serré dû sans doute à la tessiture assez tendue, mais on apprécie son style et sa diction impeccable. Le Nilakhanta de Marc Barrard n'a ni le tranchant ni la largeur qui donnerait toute sa dimension au Brahmane, surtout dans le célèbre air du IIe acte où nous est resté Roger Soyer dans l'oreille, mais il est toujours bien chantant et parfaitement crédible. La Mallika de Marie Karall et Loic Felix en Hadji méritent une mention, elle pour la beauté du timbre et lui pour la qualité du chant et de la diction. Le Frédérick au chant brouillon de Marc Callahan manque un peu de légèreté tandis qu'Anaïs Mahikian se révèle une Miss Ellen de grand luxe. Les chœurs et l'orchestre de l'Opéra de Montpellier donnent le meilleur d’eux-mêmes sous la direction compétente mais parfois un peu bruyante de Robert Tuohy.

A.C.

Lire aussi notre édition de Lakmé, ASO n° 183.


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Photos Marc Ginot / Opéra national de Montpellier.