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Plan d'ensemble de la générale.

 

On n’avait pas entendu une telle brochette de contre-ténors depuis le Sant’Alessio en 2007. Mais avec le drame sacré de Landi, il s’agissait de recitar cantando et donc d’un baroque assez sage en terme de vocalité. Avec le dramma per musica de Vinci (1730), nous voici en plein règne des grands castrats de théâtre et de leur virtuosité exubérante. Ils sont cinq à se partager l’affiche, dont deux incarnant des rôles féminins, et l’on se demande parfois si, les concernant, on peut encore employer le terme de « falsettiste » tant les sons qu’ils nous font entendre nous emmènent dans un univers où les genres et les catégories vocales semblent avoir disparu.

En primo uomo, Philippe Jaroussky fait valoir cette suavité de timbre bien connue, des registres parfaitement homogènes, un médium désormais nourri et un phrasé élégant qui séduisent et charment à chaque apparition. Cependant la figure la plus extraordinaire et la plus captivante reste incontestablement l’Arbace de Franco Fagioli. La voix de l’Argentin tient du phénomène, couvrant sans rupture une tessiture qui va du contralto au soprano lyrique avec un souffle qui semble inépuisable, une variété d’accents stupéfiante et une capacité à gérer l’ornementation proprement sensationnelle. A lui reviennent les scènes de bravoure, les airs les plus virtuoses et surtout l’unique duo au troisième acte où le rejoint la Mandane de Max Emanuel Cencic. L’Autrichien fait ici office de prima donna avec un timbre désormais nettement plus corsé qui convient bien à ses nombreux airs encolérés. Le plus ambigu de tous est la seconda donna de Valer Barna Sabadus avec son registre de soprano clair et pénétrant qui évoque à merveille la jeune princesse sensible qu’il incarne. Moins exposé, le Megabise de Yurij Mynenko fait aussi moins d’impression. Seule l’unique voix « naturelle » du cast, le ténor Juan Sancho, reste un peu en deçà, malgré des moyens honorables mais aussi de patents problèmes techniques qui lui valent un petit accident au deuxième acte.

La production de Silviu Purcarete joue la carte du théâtre dans le théâtre, s’amusant à retourner les codes de cet univers de « souffrance et de splendeur » (pour reprendre ses propres termes) dans des scènes où l’humour le dispute à l’extravagance. Ainsi de ce grand air où, à chaque repris,e les mimes sur le plateau empêchent le chanteur désespéré de sortir et le reconduisent à l’avant-scène pour une nouvelle série de variations jusqu’à l’épuisement total. Le second degré maintient efficacement l’intérêt car les effets de surprise y sont permanents. Sur la corde raide, balançant entre sublime et ridicule – mais on sait combien les castrats furent caricaturés à leur époque –, la direction d’acteurs impose aux chanteurs une gestuelle exagérée qui convient bien à leurs personnages hors du commun. Les costumes de Helmut Stürmer – avec force plumes, fanfreluches, paniers, coiffes délirantes et tissus pailletés – nous emmènent dans un univers dont l’esthétique résolument kitsch tient autant du music-hall que du théâtre baroque. Le spectacle paraît néanmoins parfois un peu énigmatique. On se demande pourquoi les protagonistes repassent leurs « costumes de ville » au deuxième acte ou ce que signifie cet écartelé qui barre l’entrée du portail en fond de scène ;mais l’ensemble réussit toujours à susciter l’intérêt avec son mélange d’effets décalés, son jeu subtil avec les toiles de fond et les miroirs que manipulent à vue neuf figurantes masquées.

La musique de Vinci, pour un non-spécialiste, se distingue mal de celle de ses contemporains mais, d’évidence, elle doit énormément à la capacité du chef à en exprimer la dynamique, l’originalité et l’invention orchestrale, évitant le piège de la monotonie que peut susciter cet enchaînement d’airs da capo. Diego Fasolis y réussit à merveille malgré quelques faiblesses chez les cuivres du Concerto Köln, et les récitatifs dont il assure le continuo sont également très vivants. La seule réserve réside sur un petit défaut d’intelligibilité du texte, sensible sur l’ensemble du plateau. A l’arrivée, un spectacle d’exception servi par une distribution hors normes qui devrait, même sans son étrange mise en scène, tenir en haleine pendant plus de trois heures les spectateurs du Théâtre des Champs-Elysées qui pourront l’entendre en version de concert les 11 et 13 décembre prochains.

A.C.


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Photo de la pré-générale. Photos Marc Antoine / Opéra National de Lorraine.