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Helena Juntunen (Grete) à l'acte I.

 

Premier opéra de Schreker, créé à Francfort en 1912, Le Son lointain n’égale pas Les Stigmatisés à venir, notamment sur le plan dramatique. Marqué par le docteur Freud, écrit par le compositeur lui-même, le texte se noie un peu dans les symboles et les méandres de l’inconscient. Parabole de la quête de l’inspiration à travers le son lointain, l’histoire suit aussi les étapes du destin de Grete, le seul amour du compositeur Fritz, qui finira prostituée après avoir été la reine d’un bordel vénitien sur une île qu’on retrouvera dans les Stigmatisés. Une Lulu avant l’heure, en somme, perdue au billard par un père alcoolique et joueur, que Fritz repoussera à Venise avant de mourir, à la fin, dans ses bras.

Nonobstant ses maladresses, Le Son lointain peut se défendre, à condition de trouver un metteur en scène inspiré. Tel n’est pas le cas de Stéphane Braunschweig, dont les dernières productions lyriques ne cessent de décevoir, à commencer par sa triste Tétralogie aixoise. Une fois de plus, il y a loin des intentions, exposées de façon très intéressante, à la réalisation. Evacuer le naturalisme au profit de la stylisation symbolique, fût-elle convenue – quilles vertes pour la forêt où Grete perdue rencontre la vieille maquerelle, tapis rouge et masques de poisson pour le bordel, par exemple –, ne peut que convaincre, de même que ces va-et-vient entre le réel, parfois trivial, et l’onirique. Mais tout cela va de pair avec une direction d’acteurs plate, voire raide, indigente même. L’acte vénitien, où le chœur est figé, tombe totalement à plat : triste Maison des masques, qui fait rêver de ce qu’un Olivier Py aurait imaginé. Bref, une mise en scène banalement littérale, n’ouvrant aucune perspective.

Les deux protagonistes, du coup, ne peuvent masquer leurs faiblesses. Will Hartmann surtout, trop léger, dépassé par les exigences d’un rôle assez impossible il est vrai – c’est courant à l’époque. Le ténor fatigue de plus en plus et époumone ses aigus au dernier acte. Trop légère elle aussi, la Grete de Helena Juntunen, au timbre peu soyeux, là où il faut un grand lyrique, plus homogène, au médium plus substantiel. Mais la soprano finlandaise s’impose malgré tout par sa probité et son engagement dans un personnage dont elle restitue les douloureuses contradictions. Exception faite d’une Livia Budai usée jusqu’à la trame en Vieille Femme, les seconds rôles sont parfaitement distribués, à commencer par celui du Chevalier, l’impeccable et stylé Stanislas de Barbeyrac.

La plus grande joie, cependant, vient de la fosse. Porté par son nouveau directeur, l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg se surpasse dans cette partition difficile. Marko Letonja aère, assouplit, fluidifie la musique de Schreker, en essayant de maintenir une tension que le compositeur-librettiste a parfois tendance à relâcher. La chose, pourtant, ne va pas de soi, surtout au deuxième acte, avec cette superposition de différents orchestres. Le chef slovène, surtout, évite de faire de Schreker un épigone de Wagner – voilà d’ailleurs une musique ne ressemblant à aucune autre, ni à Strauss ni à Mahler, en particulier. S’il préserve la continuité du flux, il ne s’attache heureusement pas moins à une dimension essentielle de cette musique, qui s’épanouira pleinement dans Les Stigmatisés : la mélodie de timbres. Car Schreker est un coloriste, proche de l’impressionnisme, occupant une place singulière dans la musique allemande de son temps.

Rienzi à Toulouse, Les Deux Veuves à Angers et à Nantes, Le Son lointain à Strasbourg : une fois de plus, c’est en région que l’on prend des risques, alors que Paris nous bombarde de reprises plus ou moins réussies. Merci donc à l’Opéra du Rhin d’avoir donné, sur scène, la première française du Son lointain tout en fêtant son centenaire.

D.V.M.


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Helena Juntunen (Grete) à l'acte II. Photos Alain Kaiser.