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Charles Castronovo (Tom Rakewell).

 

Dans la série de reprises « di qualità » qui ont jalonné cette rentrée de saison (Les Contes d’Hoffmann et Capriccio vus par Carsen, Les Noces de Figaro selon Strehler…), l’Opéra national de Paris propose une autre valeur sûre avec le Rake’s Progress mis en scène par Olivier Py, qui marqua en 2008 l’entrée de l’œuvre au répertoire de la maison.

C’est d’abord une équipe musicale de beau rang que l’on savoure, à commencer par la direction vive et colorée de Jeffrey Tate à la tête d’un Orchestre de l’Opéra remonté comme un ressort : aucun temps mort, des timbres qui s’individualisent et se fondent tour à tour, pour une narration musicale captivante qui sait aussi s’étirer dans la poésie lunaire du IIIe acte. Chœurs adéquats, dont les prochaines représentations amélioreront sans doute les quelques chorégraphies imparfaites – ce qui se remarque d’autant lorsque les costumes et perruques rappellent les troupes du Crazy Horse à la perfection, elle, légendaire...

En Débauché attendrissant, Charles Castronovo use de ses qualités de styliste – timbre sombré et chant tenu, nuances délicates jusque dans l’aigu – et forme un couple délicieux avec l’Ann Trulove d’Ekaterina Siurina : la voix de la soprano russe possède, par son vibrato à peine audible dans le medium, une forme de candeur enfantine qui sied bien au personnage. Tout au plus perd-elle en projection lorsque la mise en scène la place en hauteur sous les cintres – ce n’est que normal, et cela se remarque même sur la voix plus puissante de Jane Henschel. L’Américaine est une Baba-la-Turque épatante, qui joue de sa voix comme de son embonpoint : sans tabou. En 2008, le Nick Shadow de Laurent Naouri était d’un noir rutilant, menaçant ; celui de Gidon Saks est plus ombrageux de timbre et sympathique d’abords : le premier vibrionnait pour attirer sa proie, lui joue au boute-en-train pour mieux violenter ensuite. Il semble en tout cas ne faire qu’un avec la mise en scène d’Olivier Py qui, sous des dehors d’ultra-sophistication, n’oublie pas le comique franc de l’ouvrage.

On retrouve, avec la scénographie de Pierre-André Weitz, l’univers à la fois glacial et brûlant qu’il sait bâtir – métal et néons, jeux de lumières sur le noir chargé d’énergie, éclats de rouge. Olivier Py y dessine un Rake’s Progress tranchant, où le lupanar de Mother Goose est un cabaret porno-chic aux crudités étincelantes, où le cirque de Baba-la-Turque est à mi-chemin entre Freaks et Fellini. C’est ironique et fascinant, brillant et léché, architecturé comme de la haute-couture. Et, comme certaines collections, spectaculaire et voyeuriste : l’Epilogue, dans lequel les personnages s’adressent au public, prend ainsi tout son sens.

C.C.

Lire aussi notre édition du Rake’s Progress, ASO n° 145


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En bas de l'escalier : Jane Henschel (Baba-la-Turque), Charles Castronovo (Tom Rakewell) et Ekaterina Siurina (Anne Trulove). Sur l'escalier : Gidon Saks (Nick Shadow).


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Gidon Saks (Nick Shadow), Jane Henschel (Baba-la-Turque), Ekaterina Siurina (Anne Trulove), Charles Castronovo (Tom Rakewell) et Scott Wilde (Trulove). Photos OnP / J.-M. Lisse.