Torsten Kerl (Rienzi). Photo Tommaso Le Pera.
Rienzi : œuvre de jeunesse de Richard Wagner (créée à Dresde en 1842), plus ou moins reniée par son créateur et interdite de Festspielhaus à Bayreuth ; œuvre sulfureuse par les affinités que Hitler se trouva avec son rôle-titre, héros populaire se faisant élire tribun par une Rome enthousiaste ; œuvre méconnue enfin, jamais remontée sur une scène française depuis sa création parisienne de 1869 – en français.
C’est dire qu’en ouvrant la saison 2012-2013, qui doit nous mener au bicentenaire du compositeur, avec une nouvelle production de l’ouvrage, le Théâtre du Capitole fait œuvre nécessaire en programmant rien moins que sa première scénique française en version originale – les coupures opérées étant par ailleurs indispensables à l’équilibre d’une partition disproportionnée dans sa taille et inachevée dans son orchestration.
La scène toulousaine s’est assurée des services d’un interprète de choix pour tenir le rôle écrasant de Rienzi : Torsten Kerl en assume non seulement l’endurance et la tessiture, mais le fait avec un art de la nuance et du phrasé qui permet une incarnation sensible et humaine de ce premier grand héros wagnérien. Autour de lui, Géraldine Chauvet dessine un Adriano attachant même si la matinée de première la voit un peu à la peine, souvent droite dans les moments les plus intenses ; et Marika Schönberg module trop peu la dynamique de son timbre puissant. Patriciens et hommes de main composent un plateau homogène et de beau rang – notablement l’excellent Orsini de Stefan Heidemann. Autre rôle principal de l’ouvrage, le chœur – associant celui du Capitole et le chœur de l’Accademia Teatro alla Scala de Milan – est remarquablement au point, et parcourt cette exigeante partition de bout en bout avec brio, nonobstant quelques difficultés de justesse dans les lointains les plus périlleux. Pinchas Steinberg mène l’orchestre national du Capitole à son meilleur – relief et fougue, belles sonorités délicates aussi –, même si l’énergie de la partition sature quelque peu l’espace du théâtre.
Autre valeur sûre convoquée pour ce Rienzi événementiel : le choix de Jorge Lavelli pour la production. La scénographie de Ricardo Sánchez Cuerda propose un oppressant cube de parois métalliques, moderne et fatigué comme une soute de cargo rouillé ; les costumes étranges de Francesco Zito y font errer un peuple malléable et indifférencié – très belle idée que ces visages passés au blanc comme autant de fantômes, maquillés de façon à se ressembler l’un l’autre et uniformisés en catégories sociales – miliciens, ouvriers, bourgeois. La touche années 20 de l’ensemble nous installe dans un expressionnisme pré-fasciste – manière d’approcher le « problème Rienzi » sans pour autant le réduire à l’imagerie attendue – tandis que la mise en scène de Lavelli, usant beaucoup d’une chorégraphie chorale volontairement figée et automatisée, se révèle finalement plus statique que hiératique. Reste que cet univers, visuellement proche de La Classe morte de Kantor et investi avec conviction par tous ses interprètes, se laisse explorer avec un intérêt croissant au fur et à mesure des actes. Quelques grandes scènes fort réussies – l’excommunication et l’incendie du Capitole notamment – concourent au grand succès de l’ensemble.
C.C.
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Marika Schönberg (Irene) et Torsten Kerl (Rienzi). Photo Tommaso Le Pera.