Stéphanie d'Oustrac (Rosina) et Thomas Dolié (Figaro).
Revisiter une œuvre sans la dénaturer est le sommet de l’art théâtral. La relecture du Barbier de Séville que propose Joan Font est en ce sens une remarquable réussite. Le metteur en scène catalan y mélange avec finesse éléments issus de la tradition – costumes inspirés de l’imagerie originale, couleur locale espagnole – et éléments exogènes venus en bonne part de l’univers du cirque (maquillages clownesques et acrobaties), pour créer un spectacle jubilatoire et coloré où le rire est toujours spontané et le plaisir total, que ce soit pour le néophyte qui découvrirait l’œuvre ou le connaisseur qui peut se délecter de subtiles allusions au second degré. Passé un premier tableau un peu trop sombre, le décor de Joan Guillen s’ouvre pour découvrir la maison de Bartolo, un espace de jeu fonctionnel et inventif où l’action va pouvoir se déployer en toute liberté. La transparence des cloisons, la grande baie en fond de scène, permettent d’offrir au spectateur quelques avant-goûts et des arrière-plans savoureux aux scènes clefs de l’intrigue. La mécanique de la mise en scène utilise un ensemble de onze figurants – la domesticité pour le moins folklorique de Bartolo – pour donner une dimension proprement délirante aux grands moments de l’œuvre, comme le finale survolté de l’acte I, sans obliger les solistes à des contorsions qui gâteraient sûrement la qualité musicale. Leurs interventions non seulement illustrent avec beaucoup de fantaisie les morceaux de bravoure de la partition – le « Largo » de Figaro, la calomnie ou l’air de sorbet de Berta – mais participent à l’action dans un esprit qui rappelle l’univers des Deschiens de la grande époque. Ainsi de cette duègne omniprésente qui, d’abord témoin passif, devient au fil de l’action la complice des frasques des jeunes gens et finit par se mêler à la course-poursuite du quatuor de l’acte II. Les récitatifs, subtilement accompagnés au pianoforte par Jean-Marc Fontana, sont traités avec une liberté, un sens de l’improvisation, qui nous renvoient à la grande école bouffe et permettent aux deux distributions de créer des personnages à la mesure de leur propre personnalité.
D’un plateau à l’autre (deux distributions en alternance, entendues ici les 6 et 7 octobre), qualités vocales et investissement théâtral s’équilibrent harmonieusement et rarement le Barbier aura autant paru un opéra d’équipe. Si Julien Dran paraît un peu gêné aux entournures par une tessiture très aiguë pour lui, sa vivacité théâtrale, la finesse de son incarnation compensent largement un sentiment de tension vite disparu après une entrée problématique. En comparaison, l’Almaviva au timbre un peu métallique mais à la vocalise nettement plus facile de Sergey Romanovsky paraît légèrement placide et n’atteint pas tout à fait au même niveau de drôlerie, sauf peut-être dans la leçon de chant où il gère son jeu de scène acrobatique avec une étonnante virtuosité. On n’attendait guère Stéphanie d’Oustrac dans Rosine. Certes, son abattage communique au personnage un caractère extraordinairement volontaire et très moderne mais, vocalement, il est permis de préférer à son approche sopranisante, à son style générique et à ses graves un peu rauques, le véritable mezzo colorature de Carol Garcia, authentique rossinienne aux variations subtiles, au grave de velours, à l’aigu lumineux, dont la caractérisation plus gracieuse paraît plus en phase avec son personnage de jeune fille. Franck Leguérinel est un comédien subtil mais il parle et même susurre par moments son rôle plus qu’il ne le chante – mais il le fait avec une vélocité impressionnante et une diction italienne de grande qualité. Si le Bartolo de Luciano di Pasquale peut paraître plus conventionnel, il dispose d’un matériau vocal nettement plus convaincant, ce qui ne le rend pas nécessairement mieux chantant. Le Figaro de Florian Sempey impressionne par la solidité et la beauté de la voix mais il faut reconnaître que Thomas Dollié possède un sens de la scène, une faconde et un naturel qui donnent à son Figaro une remarquable présence. Bien chantant et très stylé, le Basilio de Nahuel di Piero ne peut rivaliser avec la voix large et profonde de basse noble de Nicolas Courjal à qui ne manque qu’un italien un peu plus idiomatique pour être idéal. Le Fiorello de David Ortega à la voix généreuse n’a aucun mal à faire oublier celui de Jean-Marc Bonicel, qui pourtant ne déméritait pas. Commune aux deux distributions, Maryse Castets est une Berta authentiquement soprano qui assume sans problème les aigus du finale de l’acte I et nous fait savourer son air unique comme un authentique sorbet. Elle est un peu l’emblème de cette production joyeuse et pleine de vie que Paolo Olmi, à la tête d’un orchestre national de Bordeaux très sûr et d’une grande finesse de coloris, mène sans temps mort jusqu’à un triomphe amplement mérité.
A.C.
Lire notre édition du Barbier de Séville, ASO n° 37
Julien Dran (Almaviva). Photos Guillaume Bonnaud.