Davide Damiani (Macbeth).
Christof Loy, c’est souvent pour le meilleur ou pour le pire. Le pire ce fut, par exemple, le massacre de La Dame du lac à Genève, le meilleur ce Macbeth qu’il vient de mettre en scène dans les mêmes lieux – mais nous avions beaucoup aimé aussi sa Femme sans ombre salzbourgeoise, quasi unanimement décriée pourtant.
Pas de détournement de l’histoire, pas d’arrangement de la partition : la tragédie de Shakespeare, l’opéra de Verdi. Le décor unique du manoir conçu par Jonas Dahlberg, avec son escalier géant, fait songer à la fois au roman gothique, à Rebecca de Hitchcock… ou, mutatis mutandis, à Tara – Autant en emporte le mal. Loy crée une atmosphère de pénombre blafarde et oppressante, d’où sont bannies les couleurs. Un manoir hanté où se célèbrent les noces de la mort et du crime : le metteur en scène récupère le fantastique, à l’inverse de Dmitri Tcherniakov à Paris, notamment à travers ces sorcières à la fois étranges et familières. On dirait la fin d’un monde, la lente agonie d’un couple problématique de dictateurs solitaires qui ne semblent même pas goûter vraiment les délices du pouvoir, dépassés par un crime plus grand qu’eux comme ils sont écrasés par le gigantisme de leur demeure. On pense alors à ces palais démesurés que se bâtissent les Ceaucescu de la planète – on pourrait être au XIXe, au XXe, au XXIe siècle. Le chœur chante la douleur de l’exil figé devant le rideau fermé, avec les portraits des disparus éclairés par de petites bougies. Cela dit, on admire d’abord la précision, la justesse de la direction d’acteurs : tout se lit dans les gestes, sur les visages, le jeu des chanteurs collant fidèlement à la musique. Une musique que le metteur en scène traduit en images dès le Prélude, placé sous le signe des sorcières et du somnambulisme de Lady Macbeth : dans le manoir déserté, Macbeth, prostré sur une chaise, attend sa fin pendant qu’elle erre en robe blanche. Le dénouement rejoindra le début : le finale de la version florentine, plus que la marche un peu pompière de la révision parisienne, ne s’ouvre guère sur des lendemains qui chantent. Seul le ballet de Thomas Wilhelm – chorégraphie des rapports entre le pouvoir et le sexe, peut-être projection des fantasmes de Macbeth – laisse sceptique : on en perçoit mal les enjeux.
A la minutie de la mise en scène correspond celle de la direction d’orchestre. Ingo Metzmacher a fait sur la partition le même travail que Riccardo Muti : il respecte à la lettre les indications de Verdi, montrant que l’œuvre n’est pas faite seulement de bruit et de fureur, mais d’innombrables nuances. On redécouvre ainsi un opéra intimiste, plongeant au plus profond des consciences, où le chuchotement le dispute au cri, ce qui n’émousse en rien sa puissance d’évocation. On attend avec impatience, la saison prochaine, le début de la Tétralogie que lui a confiée Genève. Cette lecture au plus près du texte, le chef l’impose aux chanteurs : la folie du couple paraît décuplée. La distribution, pour autant, n’est pas toujours idéale. Rien moins que héros dévoyé, plutôt pauvre hère happé par l’abîme, le Macbeth de Davide Damiani ne maîtrise ni sa ligne ni son émission, avec des notes engorgées ou trop ouvertes, un chant sacrifié à un vérisme hors de propos, défauts vocaux rédhibitoires mal compensés par la nuance et le jeu. Quelle différence avec le superbe Banco de Christian van Horn, tout de noblesse et de style, aux graves profonds, qui domine aussi le Macduff brut et seulement vaillant d’Andrea Carè. Quelle différence, de même, avec le chœur, personnage essentiel de Macbeth, superbement préparé par Ching-Lien Wu.
Reste Jennifer Larmore, la belcantiste endossant les habits de la reine des ténèbres, confrontée au même problème d’une June Anderson en Norma : la gestion de l’insuffisance des moyens. Car son mezzo clair n’a ni la voix ni la couleur de Lady. L’air d’entrée la met en péril et elle y chante parfois bien faux. Heureusement, elle ne cherche pas à paraître ce qu’elle n’est pas, elle y tient ses registres, assume la tessiture hybride du rôle, donne au personnage une humanité, une féminité, une séduction qu’on ne lui connaît pas toujours, plus vamp que vampire, sanglée dans une robe superbe à la Scarlett O’Hara. Voilà une Lady quasi donizettienne, ornant différemment la reprise de sa cabalette, beaucoup plus à l’aise que d’autres, évidemment, dans le Brindisi du deuxième acte. Certes Verdi affirmait vouloir le contraire… or on se laisse séduire par cette Lady atypique, tenant presque parfois de l’ange déchu, qui retrouve dans le somnambulisme une sorte d’innocence coupable – mais comment réussir la vocalise finale, à moins d’être soprano léger, en la chantant étendue sur le dos ?
Belle fin de saison genevoise, en tout cas.
D.V.M.
Lire notre édition de Macbeth, ASO n° 249.
Jennifer Larmore (Lady Macbeth). Photos Monika Rittershaus / GTG.