Frédéric Antoun (Thésée), Jennifer Borghi (Médée), Tassis Christoyannis (le Roi Égée), Virginie Pochon (Églé), Katia Velletaz (la Grande Prêtresse, Minerve), Carolie Weynants (Dorine, la Première Prêtresse). Solistes, Chœur de Chambre de Namur, Les Agréments, dir. Guy van Waas (Liège 2012).
CD Ricercar RIC 337. Distr. Outhere.
Avant que de sacrifier à l'Être Suprême, Gossec fut sous l'Ancien Régime un acteur parcimonieux mais singulier des ultimes années de la Tragédie Lyrique, livrant seulement deux ouvrages à ce genre. Devismes, qui allait bientôt être contraint de quitter ses fonctions de directeur de l'Académie Royale de Musique, remonta le Thésée de Lully, non sans commander à Gossec un nouvel opéra sur le livret de Quinault. C'était faire confiance à un compositeur éloigné de l'institution depuis l'échec cuisant de son Sabinius (1773) - éclipsé par l'Iphigénie en Aulide de Gluck - et dont la carrière lyrique était retournée à des genres plus légers. Gossec, croyant tenir sa revanche, cravacha sa plume et il semble bien que son Thésée ait été achevé dès 1778. Devismes parti, l'Académie en proie à d'incommodes changements de direction, la salle du Palais Royal détruite par l'incendie de 1781, Thésée dut attendre quatre ans avant de paraître en 1782 sur les planches toutes fraîches de la salle de la porte Saint-Martin. Mais cette attente fut adoucie par une distribution particulièrement brillante : Legros en Thésée, Larrivée pour Égée, Médée selon la Duplant, ce trio aurait dû assurer un triomphe, mais la malédiction se poursuivit et l'ouvrage tomba après quinze représentations, Grimm l'expédiant d'un implacable « on n'y trouve rien qui puisse exciter ni murmure, ni enthousiasme ».
Aujourd'hui que l'on peut enfin entendre ce Thésée, on juge Grimm bien sévère, même si l'on sait que son avis lapidaire reflète celui, plus général, d'une certaine lassitude du public devant le genre même de la Tragédie Lyrique. Une stupéfiante ouverture, un premier acte empli de bruits de guerre, des divertissements comblés d'invention et parfois même reprenant une veine proche du comique - ainsi la scène II/5 avec son trio de vieillards athéniens -, au III des Enfers saisissants, un IVe acte plein de rebondissements, partout un orchestre innovant qui rappelle que Gossec fut le contemporain de Rameau et de Berlioz (!), et un chant qui n'est pas inféodé au modèle gluckiste comme chez tant de ses confrères, où transparaissent à côté du récit les prémices d'une vocalité belcantiste : décidément la partition est passionnante sinon aboutie.
Et la voilà servie par une équipe qui lui rend justice. Bémol, si Jennifer Borghi donne de la noblesse à sa Médée, sa voix fermée dispense les mots plutôt que la musique. Mais l'incarnation est là. Une splendeur l'éclipse - qu'on entend trop peu car Gossec avait en fait ménagé Legros, d'autant que déjà le livret de Quinault était tout entier dévolu à Médée -, le Thésée de Frédéric Antoun, dont le ténor conquérant, le style noble, l'élégance du timbre, la vaillance saisissent immanquablement. Splendide Égée selon Tassis Christoyannis, tendre Églé où Valérie Pochon met beaucoup d'art. Sur la trame tour à tour tendre ou cruelle de Quinault, resserrée encore par la réécriture de Chédeville, Guy van Waas conduit un orchestre toujours surprenant, et emporte le drame avec brio. Une découverte. Sabinius demain ?
J.-C.H.