Paolo Fanale (Wilhelm Meister), Diana Damrau (Philine) et Sophie Koch (Mignon). Photo GTG / Yunus Durukan.
Genève reprend à juste titre cette production de Mignon conçue pour l’Opéra-Comique et que Jean-Louis Benoît a adaptée à la scène beaucoup plus vaste du Grand Théâtre. Il fallait, de toute façon, remodeler la fin : on voit ici la version plus triste où Mignon meurt dans les bras de Wilhelm Meister – dénouement que le metteur en scène rend volontairement ambigu, pouvant laisser supposer qu’elle renaît à la vie. D’autres auraient tiré parti plus audacieux de cette histoire d’enfant maltraitée en quête de ses origines, mi-fille mi-garçon, rivale d’une comédienne à la coquetterie méchante, découvrant l’amour et sa féminité, éprise d’un jeune homme se cherchant aussi lui-même. De cette fin où elle se reconnaît fille d’un marquis que son enlèvement avait conduit à la folie. De ce théâtre dans le théâtre avec une représentation du Songe d’une nuit d’été. Mais la réalisation de l’ancien directeur de la Criée marseillaise, dans sa sobriété, a gagné en finesse et en justesse, pour mieux respecter l’esprit de l’opéra-comique, soucieuse d’équilibre entre la légèreté et la profondeur – il y aurait beaucoup à dire sur les relations amoureuses entre les personnages. Les costumes d’époque de Thibaut Welchlin, les toiles peintes de Laurent Peduzzi maintiennent toujours avec bonheur le lien avec Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister de Goethe, dont le livret de Barbier et Carré s’éloigne passablement, rappelant le rôle de l’Italie, patrie de Mignon, dans l’initiation à soi-même.
Défenseur enthousiaste du répertoire français, Frédéric Chaslin impose progressivement à un Orchestre de la Suisse romande moins familier de cette musique les couleurs, la fluidité, la finesse qu’exige l’œuvre, se laissant néanmoins emporter ici ou là par une fougue excessive qui ne facilite pas la tâche de l’excellent chœur de la maison. Il maintient en tout cas une réelle tension, très éloquent dans les mélodrames – on entend ici la version avec les dialogues parlés originels. Plus sombre que Marie Lenormand à Favart, Sophie Koch cherche au début son assise, assez instable de voix et de ligne, puis soude ses registres, assure ses notes extrêmes, plus à l’aise dans les passages dramatiques, Mignon mélancolique et tourmentée, torturée par la Philine survoltée de Diana Damrau. Celle-ci confond un peu trop la comédienne avec Zerbinette et le metteur en scène aurait dû la canaliser davantage. Vocalement elle ne se révèle qu’à partir du deuxième acte, où les vocalises de la célèbre Polonaise flattent son art de la colorature brillante, pâtissant néanmoins d’une certaine modestie du médium. Ainsi cède-t-elle la vedette à Paolo Fanale, choisi avec bonheur pour remplacer Andrei Dunaev : petite voix mais ténor impeccablement stylé, au phrasé élégant, à la mezza voce charmeuse, à l’aigu aisé, Wilhelm généreux et sensible, dont la nasalité du timbre accentue seulement l’exotisme de l’accent. De ce point de vue, le Lothario de Nicolas Courjal répond évidemment beaucoup mieux aux exigences du chant français, bien qu’il attende, lui aussi, pour affiner son phrasé et ses nuances, pour arrondir sa voix, –son air d’entrée sonnant trop rocailleux et manquant de legato. Les autres tiennent parfaitement leur rang, en particulier le Frédéric enflammé de Carine Séchaye et le Laërte ambigu d’Emilio Pons.
Tout cela confirme qu’il ne faut décidément pas toujours croire Chabrier. Longtemps pilier du répertoire, pas seulement en France, prisé des voix les plus célèbres, Mignon tient encore le coup, question qu’on ne pose plus à propos de Hamlet. Il serait temps de regarder de plus près l’œuvre d’Ambroise Thomas.
D.V.M.
Philine (Diana Damrau).Photo GTG / Yunus Durukan.