Cavalleria rusticana - Stefania Toczyska (Lucia), Marcello Giordani (Turiddu) et Violeta Urmana (Santuzza).
Aussi curieux que cela puisse paraître, Cavalleria rusticana de Mascagni a fait ce mois-ci son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris. Etonnant, au vu de la popularité de l’ouvrage si fréquemment couplé au Pagliacci de Leoncavallo – comme c’est de nouveau le cas ici ; mais largement moins gratifiant que les redécouvertes parisiennes initiées par Nicolas Joel telles Francesca da Rimini l’an passé ou La Gioconda la saison prochaine. Car si Pagliacci tient décidément la route par son équilibre prenant entre vérisme et lyrisme, théâtralité et mélodie, ramassant son adultère fatal en coup de poing, à la façon du Tabarro de Puccini, Cavalleria rusticana avoue aujourd’hui une outrance expressive dépassée, imposant de bout en bout une vocalité exacerbée et, de fait, une tension dramatique sans vrai relief.
C’est la première raison pour laquelle la soirée « Cav / Pag », comme on les dénomme familièrement, de l’Opéra Bastille, se partage entre une première partie en forme d’épreuve et une seconde un peu réconfortante. La deuxième raison vient de la mise en scène de Giancarlo del Monaco, empesée pour Cavalleria rusticana, ravivée pour Pagliacci – dans des décors plutôt bienvenus de Johannes Leiacker, renvoyant pour l’un à Stromboli – peut-être – et pour l’autre, sans équivoque – photo d’Anita Ekberg à l’appui –, à La dolce vita. Dans le premier ouvrage, les silhouettes noires habitant une carrière de marbre blanc auraient pu servir l’idée d’une Sicile écrasée de soleil et de conventions ; mais les lumières, froides et monochromes, et la gestion des chœurs, aux déplacements empotés et artificiels, oblitèrent toute atmosphère. Dans le second, si le même défaut de masse est à déplorer, la direction d’acteurs des protagonistes relève le niveau par sa souplesse et son absence de pose, et le théâtre s’anime enfin.
Le plateau réuni pour Cavalleria rusticana est endurant et passe le cap d’une écriture excessive. Pourtant Violeta Urmana ne séduit pas – aigus présents mais parfois stridents, grave curieusement faible –, même si son engagement scénique et vocal ne fait pas défaut. On pourra dire de Marcello Giordani qu’il est un Turiddu sans grand raffinement – mais Turiddu est-il un rôle vocal raffiné ?! Un cran en-dessous, Franck Ferrari ne rend pas justice à l’italianité d’Alfio – phrasé trop haché, timbre trop poussé. Excellentes Lucia de Stefania Toczyska et Lola de Nicole Piccolomini. L’équipe de Pagliacci réunit le formidable Tonio de Sergey Murzaev – d’une rare ampleur de voix, et remarquablement inquiétant –, le Canio de haut style de Vladimir Galouzine, qui compense par l’intensité de son chant un timbre plus ombre que soleil, un parfait Silvio (Tassis Christoyannis) et une belle découverte en Nedda : la Roumaine Brigitta Kele, féline et racée de voix comme de silhouette.
La baguette généreuse de Daniel Oren conduit en fosse un théâtre sans fausses pudeurs, assumant la part populaire du vérisme musical – on aurait aimé que les subtilités orchestrales réelles même si parcimonieuses de Cavalleria rusticana ne disparaissent ainsi sous une surexpression vocale permanente. Petite coquetterie de la soirée : le Prologue de Pagliacci placé avant Cavalleria rusticana, et le cadavre de Turiddu traversant les premières mesures de Pagliacci – sans que le théâtre dans le théâtre n’en soit pour autant nourri, ni la transition entre les deux œuvres, si différentes musicalement, améliorée. Cav / Pag est décidément un piège musical et théâtral !
C.C.
I Pagliacci - Vladimir Galouzine (Canio), Brigitta Kele (Nedda), Florian Laconi (Beppe) et Sergey Murzaev (Tonio). Crédit : Opéra national de Paris/ Mirco Magliocca