Roland cosplayer
Sous l’égide du plasticien Nicolas Buffe – concepteur visuel du spectacle, de ses décors et costumes –, l’Orlando Paladino actuellement représenté au Théâtre du Châtelet est un ébouriffant et joyeux délire visuel. L’inventivité ludique des costumes, colorés et sophistiqués, graphiques et humoristiques, y est pour beaucoup : les personnages de L’Arioste semblent issus de la dernière JapanExpo, comme ces cosplayers déambulant sous l’apparence de leurs héros favoris, soudains sortis de leurs mangas de papier. En somme, Rodomonte évoque Goldorak, le dragon est un gentil Godzilla et les gardes du corps d’Alcina ont un petit côté Bioman – en plus soigné, heureusement, et en plus riche : un grain de film de sabre par-ci, un peu d’heroic fantasy par-là, un soupçon de BD potache en prime. On avoue bien volontiers trouver ce cocktail détonant plutôt bien adapté à la folie de l’univers d’Orlando, à ses péripéties électriques sans queue ni tête, surtout dans la version « héroï-comique » revendiquée par la partition délicieuse de Haydn, qui décoiffe sans vergogne le genre de l’« opéra orlandien ». Le public est conquis, qui mêle jeunes fans de Tigre et Dragon, génération Albator et plus anciens pourtant moins familiers de l’animation japonaise.
Mais un univers visuel inventif et profus fait-il une mise en scène ? Hélas non. Kamel Ouali meuble les airs de chorégraphies systématiques et bruyantes, le décor reste décor sans proposer de scénographie véritable – plutôt une succession de tableaux frontaux au kitsch joliment assumé mais pas utilisé –, la gestuelle confine à la gesticulation, les acrobates entrent et sortent sans vraie nécessité autre que décorative et ponctuelle. La direction d’acteurs se réduit à jouer avec les costumes et leurs implications farcesques, ce qui mène au meilleur (l’air de Pasquale traité en show stopper avec poursuite complice) ou au plus caricatural (Alcina en vamp criarde). On est donc, au final, partagé entre un enthousiasme stimulé et un théâtre au souffle court.
L’Orlando du 19 mars, Kresimir Spicer, se distingue nettement et agréablement par sa qualité de style et de nuances. Mais gageons que le fiorito encombré et les suraigus poussés d’Angelica (Ekaterina Bakanova), les fluctuations de justesse de Bruno Taddia (Pasquale impayable, mais aussi imprécis…) et même le soprano joli mais un peu court d’Eurilla (une Raquel Camarinha transformée en Barbarella des prés), n’auraient pas reçu le même accueil triomphal sans leurs atours cocasses et sexy, exotiques et percutants. En fosse, Jean-Christophe Spinosi participe du projet avec conviction et humour, mais le bilan est similaire : les citations de Rencontre du troisième type, Psychose ou Star Wars font sourire mais ne font pas une direction musicale, souvent affairée à rattraper les décalages fosse-plateau quand la scène est par trop bousculante, ou à précipiter artificiellement les enchaînements.
Haydn est, musicalement, plus desservi que trahi ; Orlando Paladino, plus illustré que mis en scène. La soirée est sympathique, mais joue à l’opéra plus qu’elle ne le fait vivre. Une telle effervescence plastique et une telle partition auraient mérité d’être théâtralement habitées, et pas seulement… animées.
C.C.
De gauche à droite Anna Goryachova (Alcina), Joan Martin-Royo (Rodomonte) Bruno Taddia (Pasquale), Pascal Charbonneau (Medoro), Raquel Camarinha (Eurilla) et Ekaterina Bakanova (Angelica)
David Curry (Orlando.Photos : Marie-Noëlle Robert-Théâtre du Châtelet