Une structure de bois, pour figurer le labyrinthe de l’île de la magicienne : pour un peu, on se croirait chez Olivier Py. Mais Marco Santi n’a pas son inépuisable invention, et sa chorégraphie – « commentaire émotionnel aux situations chantées » – se révèle aussi inutile qu’indigente, faite de lassantes répétitions de gestes lents, à l’érotisme trop convenu. Tout cela parce qu’Alcina s’entoure d’artistes destinés à la distraire : on pourrait se croire dans un théâtre ou dans une boîte de nuit, avec coulisses et vestiaire. Du niveau inférieur – on pense, une fois de plus, à l’espèce de tarmac de l’Idoménée aixois de Py – surgira la révolte fatale à la reine, quand les esclaves d’hier deviendront des combattants de la liberté. Le chorégraphe sacrifie superficiellement à la mode du moment, alors que sa direction d’acteurs n’est pas si mauvaise : axée sur l’évolution des sentiments, elle en suggère même parfois avec bonheur les étapes, qu’il était inutile, là aussi, de souligner par des projections vidéo à la symbolique primaire.
Tout le prix de cette production, en réalité une coproduction avec le Theater St. Gallen, tient donc à l’interprétation musicale. Qui aurait cru Olga Peretyatko victime d’une bronchite ? Certes légère, la voix se projette impeccablement, jusque dans le médium, timbre liquide, presque adolescent. La colorature se déploie sûrement, bien que l’on ait connu des Alcina plus virtuoses. Et l’on s’attache à cette reine plus amoureuse que magicienne, pas si sûre de son pouvoir de séduction, qui a bien assimilé les principes du bel canto. Sa sœur se situe à la même hauteur : Sophie Graf compose une Morgana sensuelle, volontiers facétieuse, au timbre charnu, superbe d’aisance – on est heureux qu’elle récupère son « Tornami a vagghegiar ». La Bradamante de Delphine Galou, elle, compense le manque de couleurs par sa pertinence stylistique, avec une vocalisation flamboyante dans « Vorrei vendicarmi ». Deux talents que l’on suivra de près.
Remplaçant Brian Asawa initialement prévu en Ruggiero, le Roumain Florin Cezar Ouatu s’avère plus en situation dans l’élégie que dans la vaillance : si « Verdi prati » révèle un art certain du phrasé, « Sta nell’Ircana », dont le feu d’artifice disparaît, met à nu la pâleur du timbre et la modestie du médium. On ne remarque pas moins, finalement, l’Oberto de Paolo Lopez, à qui la production redonne toute sa place et dont le « Barbara ! Io ben lo so » révèle, avant le dénouement, une grande maîtrise. N’était un timbre assez nasal, l’Oronte de Juan Francisco Gatell ne manque ni de présence ni de style, pas plus que le noble Melisso de Giovanni Furlanetto.
La réussite du spectacle doit beaucoup à la direction d’Ottavio Dantone, aussi heureux, à la tête de l’Orchestre de chambre de Lausanne, que dans L’Italienne à Alger la saison passée. Direction colorée, jamais sèche, très intériorisée, qui ne sacrifie pas la poésie des climats à l’urgence théâtrale, très attachée à la magie des timbres : on n’est pas près d’oublier l’orchestre de « Ah ! mio cor », où s’épanche toute la hantise de la perte.
D.V.M.