Nicola Alaimo (Marcaniello), Elena Belfiore (Ascanio), Patrizia Biccirè (Nena), Jurgita Adamonytè (Nina), Barbara di Castri (Luggrezia), Laura Cherici (Vannella), Rosa Bove (Cardella), Filippo Morace (Don Pietro), David Alegret (Carlo). Europa Galante, dir. Fabio Biondi, mise en scène : Willy Landin (Jesi 2011).
DVD Arthaus Musik 101 652. Distr. Harmonia Mundi.
Un jeune homme adopté, épris de celles qui se révèleront être ses deux sœurs biologiques, épouse finalement sa sœur de lait, tandis que les barbons promis à toutes ces dames se rabattent sur leurs servantes : tel est le sujet scabreux traité par l'hilarant livret de Gennarantonio Federico dans ce Frate de 1732 (qui précède d'un an La serva padrona et de trois Flaminio). Enflammé par cette comédie napolitaine ouvrant la voie aussi bien au théâtre de Goldoni qu'à l'opera buffa, Pergolesi la nappe d'une crème de savoureuses mélodies, plus populaires d'aspect que celles du Flaminio et résolument ancrées dans le terroir du Sud de l'Italie (nombreuses siciliennes). Certains morceaux ont d'ailleurs traversé les siècles grâce aux compilations d'arie antiche, tel le nostalgique « Ogni pena più spietata ».
En 1989, Riccardo Muti et Roberto De Simone avaient ressuscité ce chef-d'œuvre, ce dont témoigne un fort beau coffret discographique (EMI). Consciente de se confronter à cette production, celle de Jesi joue d'autres atouts. Le premier est Fabio Biondi qui, depuis le violon solo, dicte une lecture électrisante, prodigue en climats, détails rhétoriques, contrastes et mouvement - si tonique qu'elle vole parfois la vedette aux chanteurs. Le second, la scénographie de Willy Landin, qui transpose sans effort l'action dans les années 50-60, dressant un ravissant décor de place napolitaine (linge aux fenêtres, balcons de bois, cage à oiseaux, bégonias) qui, par la magie des lumières (superbes effets « à la Hopper » de Fabrizio Gobbi), se change parfois en un café mélancolique. Si la direction d'acteurs, classique, se contente de réagir aux situations désopilantes proposées par le livret, maints détails savoureux liés au ridicule Don Pietro (lequel arrive en Vespa, fait danser les servantes au son de sa radio en bakélite, danse le menuet sur fond de vidéo représentant une chevauchée de veline) suffisent à nous transporter dans l'univers de Cinecittà.
Notre bonheur serait complet n'était une distribution vocale inférieure à celle de Muti - surtout en ce qui concerne le rôle-titre, une soprano bien tendue (à laquelle quelques reprises ont été épargnées), une insuffisante Luggrezia, une Cardella fort vulgaire et une Nina qui pâtit de l'ombre portée par Bernadette Manca di Nissa. En revanche, le tenorino David Alegret tire son épingle du jeu en vieux célibataire, la soprano Patrizia Biccirè affronte avec lyrisme les grands airs de Nina, sa consœur Laura Cherici campe une Vannella pleine de verve et, surtout, le baryton Nicola Alaimo impose un truculent, formidable Marcaniello, il est vrai chouchouté par le compositeur et le chef (son lamento éthylique de l'acte II est l'un des clous du spectacle). En dépit de quelques voix décevantes, un très agréable divertissement, donc.
O.R.