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Andrea Danková (Kat'a) et Anna Radziejewska (Varvara).


On avait salué déjà avec enthousiasme la magnifique production de Kat’a Kabanova signée de Robert Carsen à la sortie de la captation vidéo publiée en DVD chez FRA (ASO N° 114, mis à jour 2011), expliquant alors combien sa splendeur visuelle pouvait aussi paraître trop séduisante, trop esthétisante, pour le drame de Janacek. Comment manquer alors sa première apparition en France, après qu’elle ait déjà ravi les publics d’Anvers, de Barcelone, de Milan ? On a donc couru à Strasbourg, où Marc Clémeur a la sagesse de reprendre certaines de ses réussites anversoises, et de complèter ainsi un cycle Janáček, déjà illustré par une magnifique Jenufa et une Affaire Makropoulos sensiblement moins heureuse que cette reprise spectaculaire et intimiste à la fois.

Spectaculaire, car le plateau nu noyé d’eau morte et parcouru de quelques passerelles de bois mobiles créant les espaces quasi-virtuels de la maison, de l’église, des berges de la Volga, et son reflet  incertain dans le rideau de fond, fascinant miroir des moindres ondulations du plan d’eau sont une des plus spectaculaires et des plus simples expressions de la magie d’un décor qu’on ait pu voir à ce jour. Splendeur de la simplicité, évidence de la nudité, dans cet écrin d’une pureté magnifiée des moires d’une lumière blanche aux reflets de bleus profonds, les sentiments sont alors exposés à vif par le jeu d’acteurs surexposés qui ne peuvent se fondre que dans cet élément aqueux, eau de la vie, eau de la mort, qu’ils dominent de toute leur vérité. D’où cette intimité, qui nait du rapprochement de leurs personnes au public, quand rien ne fait obstacle à ce rapport de densité offerte, jamais troublée par ce qu’on pourrait appeler le décoratif, condensé ici en une pure architecture de lumière vibrant sur quatre plans aux matières distinctes, et pour l’une vivante.

Certes, si cette autre proximité plus forte encore n’est pas ici aussi marquée, que les Bouffes du Nord permettaient hier par l’abolition de la distance, la réalité de l’opéra  - orchestre compris - étant cette fois préservée, il faut reconnaitre à l’équipe rassemblée à Strasbourg une qualité d’ensemble assez majuscule. A Barcelone, une Mattila, une Petrinsky aussi, écrasaient de leur personnalité le reste de la distribution. Ici le Dikoj d’Oleg Bryjak, le Tichon de Guy de Mey, le Boris de Miroslav Dvorsky, communs aux deux productions, sortent de cet écrasement, la cohérence de la distribution devenant vertu majeure. Non que la Kat’a d’Andrea Danková démérite : la voix est grande, prenante, l’interprète est investie, déchirée, saisissante. Elle n’est seulement pas vertigineuse.  On passe alors deux heures de magie pure à haïr  la belle-mère archétypale de Julia Juon, formidable harpie sèche, à sympathiser avec l’excellent  Koudriach  d’Enrico  Casari, et la vibrante  Varvara d’Anna Radziejewska. L’orchestre de Mulhouse est plus que pour Makropoulos  vivant , investi, stylé, même si quelques  instants à peine des cuivres semblent délicats. Manque seulement à la direction de Friedemann Layer  ce surplus d’émotion qui fait de l’orchestre de Janacek le  successeur de celui de Wagner, et lui impose d’être le  grand résonateur des sentiments. Ce manque relatif d’émotion étreignante est ici la seule faiblesse d’une production proche de la perfection.

P.F.


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Miroslav Dvorsky (Boris) et Andrea Dankova (Kat'a).


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© ONR / Alain Kaiser.