OEP200_1.jpg"
Natalie Dessay (Manon) et Giuseppe Filianoti (Le Chevalier des Grieux)


Anniversaire de la mort de Massenet… ou mort d’un anniversaire

Quelle fatalité frappe donc l’Opéra de Paris en cette saison 2011-2012 ? Après le Faust outrancier de Martinoty et ses mésaventures musicales, après La Force du destin banale de Jean-Claude Auvray et sa distribution en cache-cache, on espérait que cette Manon, choisie pour célébrer le centenaire de la mort de son compositeur, redonnerait un peu de brillant aux nouvelles productions de la maison. Hélas il n’en est rien, le ratage confinant même au mauvais goût.

Car avec la production de Coline Serreau, l’Opéra de Paris se voit contraint de célébrer Massenet en clamant au public que sa Manon est… un ouvrage ringard aux personnages ridicules. Manon est longue ? coupons Manon (la dernière scène du I, le ballet, le dialogue avec les soldats…) ! Manon est vieille ? rajeunissons-la en insistant sur le fossé des générations et des looks (Guillot en pourpoint, Lescaut en punk, les dévotes en patins à roulette) ! Manon est d’un autre temps ? tournons-la en dérision (ses « chimères » sont celles d’une « Miss Arras », la « maisonnette » de Des Grieux digne de Martine aux Alpages, etc.).

Si Coline Serreau croyait ainsi actualiser l’œuvre pour le public d’aujourd’hui, c’est stupide et erroné : le public supporte les longueurs quand elles sont intéressantes, n’en est plus depuis longtemps au stade du punk (!), et a même un cerveau pour savoir entendre une langue ou comprendre des concepts qui ne sont pas les siens. Cerveau d’ailleurs mis à mal par une mise en scène qui impose en permanence au spectateur sa lecture réductrice et mesquine, en faisant régulièrement descendre des cintres des tableaux prenant le contre-pied moqueur du propos des personnages. Les interprètes, qui entendent ainsi la salle s’esclaffer juste avant la Petite table, au milieu de l’Humble retraite ou du tableau de Saint-Sulpice, sauront sans doute gré à madame Serreau de ce dynamitage systématique de toute émotion. Les tentatives de gestuelle synchronisée (pour les chœurs ou pour Poussette, Rosette et Javotte) collent par ailleurs aussi bien à la liquidité musicale de Massenet que le gag cartoon à l’esthétique fin-de-siècle. Des redondances comme on n’oserait plus en imaginer (« je lui tends les bras » : et le chanteur de tendre les bras…), des postures main-sur-le-cœur-face-public utilisées à plus soif, achèvent le tableau.

Ne reste que l’acte V à se mettre sous la dent : soudain, il ne se passe rien et tout est là – la musique sublime de Massenet, la poésie insaisissable de ses personnages, et la mort vue en face. Il faut dire que tout repose alors sur les décors dépouillés de Jean-Marc Stehlé et Antoine Fontaine et le jeu intense et crédible de Natalie Dessay. Le reste du temps, entre une architecture monumentale et un bus vintage, un punk à moto et un défilé de mannequins, des figurants SM au Grand Palais, jusqu’au recyclage de la perruque rouge de Dessay-Zerbinetta, tout y passe, confondant images et idées, rigolade et point de vue, remplissage et mise en scène. Confondant aussi laideur et modernité (mais qu’est-ce que le goût, n’est-ce pas ?), vulgaire et populaire (ce qui est insultant pour le peuple), position critique et mépris condescendant (autant balayer d’un rire ce en quoi l’on ne se reconnaît pas ou plus…). Que Coline Serreau, dont on avait tant aimé le Barbier de Séville joliment acidulé, se fasse le porte-étendard d’une telle démarche nous attriste, nous met en colère aussi.

On ne sait comment les artistes habitent cette production. Evelino Pidò ne trouve certes pas sur le plateau de quoi nourrir une flamme orchestrale qu’il a tendance à laisser s’éteindre à petit feu. Il ne parvient même pas à atténuer suffisamment les dynamiques pour permettre au medium de Natalie Dessay de passer la rampe. Toujours aisée et brillante dans les aigus, toujours interprète sensible et émouvante, la soprano se heurte ici à une voix plus que jamais trop menue pour l’entière tessiture du personnage – contrainte à l’extrême avant-scène et à des recours techniques douteux (quelques sons poitrinés très haut pour pouvoir sortir), et pourtant souvent inaudible. Son Des Grieux (Giuseppe Filianoti) tient sa partie mais avec effort, prononce un français très travaillé mais avec accent, rappelant en cela Villazón, plus placide de présence néanmoins. Franck Ferrari joue à fond la carte de son Lescaut punk et rigolard, ce qui n’est pas sans mérite ; mais on rêverait vocalité plus souple (certaines phrases legato prouvent d’ailleurs qu’il en est capable), moins hachurée. Totalement buffa, il est du coup, paradoxalement, le moins ridiculisé d’entre tous, parvenant à trouver sa place par l’absurde dans le non-sens généralisé de la mise en scène. Paul Gay enfin est un Comte de belle allure.

En ce début d’année 2012, présentons donc nos vœux à l’Opéra de Paris pour de prochaines nouvelles productions inattendues et inventives, dérangeantes et constructives, surprenantes et attractives.

C.C.

à lire : L'Avant-Scène Opéra n° 123, Manon, mise à jour en décembre 2011.


OEP200_2.jpg"
Natalie Dessay (Manon).


OEP200_3.jpg"
Natalie Dessay (Manon), Olivia Doray (Poussette), Carol Garcia (Javotte) et Alisa Kolosova (Rosette). Crédit : Opéra national de Paris / Charles Duprat