Markus Werba (Papageno), Topi Lehtipuu (Tamino), Claire Debono, Juliette Mars et Elodie Méchain (Trois Dames).
Une Flûte enchanteresse
C’est Noël au Théâtre des Champs-Elysées : au pied du sapin, une soirée d’opéra miraculeuse de fraîcheur et de subtilité.
D’abord par la grâce d’une équipe musicale de haut rang et très homogène : sur le plateau, de jeunes interprètes au style mozartien raffiné, à la musicalité sans faille ; dans la fosse tout récemment agrandie du théâtre, l’Ensemble Matheus qu’on a rarement entendu sonner si rond et équilibré, juste et naturel dans ses couleurs, ses délicieuses nuances, son continuo et ses interventions sonores à l’esprit léger. Jean-Christophe Spinosi séduit dès l’ouverture en choisissant des tempi posés, et une direction souriante et attentive au jeu comme au chant. Une gravité de touche s’en dégage mais sans lourdeur, qui balance parfaitement l’humour dispensé par ailleurs par la partition et son livret.
Topi Lehtipuu est un Tamino aristocrate, d’attitude et de chant ; sa Pamina (Sandrine Piau) nous offre quelques-uns des plus beaux moments de la soirée, notamment avec un « Ach, ich fühl’s » aux nuances inouïes, poésie et lumière incarnées. Markus Werba est un Papageno roublard et solide, acteur-chanteur comme le rôle en demande, et trouve en Emmanuelle De Negri une charmante Papagena. Le troisième bouffe, Monostatos, est un impeccable Steven Cole, à la drôlerie cartoonesque. La Reine de la Nuit de Jeanette Vecchione, malgré un medium petit et un rien serré, déploie dans l’extrême aigu des clochettes pulpeuses et rayonnantes ; par son timbre plus encore que par son jeu, elle appartient néanmoins à la famille des Reines femmes-enfants, plus capricieuses que tourmentées. Mais c’est le Sarastro d’Ain Anger qui fait la plus forte impression – avec Sandrine Piau : magnifique voix de basse, à la plénitude de colonne de temple ou de tuyau d’orgue, mais au phrasé humain et sans prétention, pour une présence physique séduisante qui change du vieux sage habituel. Plus que le prêtre ou le philosophe, c’est l’homme dans la force de l’âge et de la raison qu’incarne ainsi l’Estonien, se faisant ainsi le parfait relais de la proposition dramaturgique de William Kentridge.
Le metteur en scène Sud-Africain, comme pour son Nez de Chostakovitch triomphateur au Metropolitan Opera de New York et au Festival d’Aix-en-Provence, résout la quadrature du cercle : opéra maçonnique et conte initiatique, spectacle pour petits et grands enfants, références classiques – le théâtre en perspective de pendrillons, quelques clins d’œil aux décors de la création – habitées d’un esprit graphique contemporain – les projections animées de dessins en noir et blanc sont la « patte » du plasticien Kentridge –, invention visuelle et trucages de bateleur. C’est La Flûte enchantée sous tous ses aspects, saisis ensemble par un grand esprit et harmonisés par un grand artiste en un bijou d’équilibre, sans aucune démonstration appuyée. C’est le Siècle des Lumières qui croise Schikaneder, la Raison qui sait être légère, l’Esprit qui ne cesse de palpiter de vie. Un feu d’artifice visuel qui crée un écrin d’ombres et de lumières pour des personnages colorés (costumes à croquer de Greta Goiris) et pétulants, un feuilleton à épisodes qui vous emmène d’une Egypte de gravures anciennes à une Voie Lactée scintillante, de Howard Carter à Méliès, en une dialectique lumière-illusion qui vous laisse ébloui comme devant votre première étoile filante.
Une soirée à marquer d’un flocon de neige.
C.C.
A lire : L'Avant-Scène Opéra n° 196
Emmanuelle De Negri (Papagena) et Markus Werba (Papageno).
Jeanette Vecchione (la Reine de la Nuit). Photos Alvaro Yañez.