Laurent Naouri (Baron de Gondremarck).
La teuf à Pigalle
Reprise à Lyon de la Vie parisienne selon Laurent Pelly : une production datant de 2007, que le metteur en scène actualise de quelques détails – il agrémente son chœur des Employés de la ligne de l’Ouest, transformé en manif syndicale, par quelques panneaux « Indignés » dans l’air du temps –, mais maintient dans un jus plus parigot que parisien, et plus boulevard Brune que Passage des Panoramas. On sourit – plus souvent qu’on ne rit –, car les idées les plus cocasses sont souvent bien pensées : la voix de la SNCF, les ballets de policiers ou de paumés du petit matin, réglés par Laura Scozzi, font mouche… sauf quand ils se répètent trop, et trop systématiquement. C’est le péché mignon d’une mise en scène qui appuie sur l’effet au point de tomber dans la vulgarité au lieu d’en rester à l’art d’effleurer « le mot et la chose »… « à poil, la blonde ! », « Ta gueule ! » : Agathe Mélinand, adaptatrice des dialogues (en ont-ils donc besoin ?) veut actualiser un livret alors qu’elle le rend artificiel et le fait sonner faux. Il faut faire confiance aux conventions théâtrales, à l’œuvre, à l’auditeur ! Le public est bien plus prêt à accepter un Baron de Gondremarck (déjà : un baron !) à la voix travaillée (parle-t-on comme cela, de toute façon ?) compter son argent en « francs »… qu’à entendre un personnage d’Offenbach s’exprimer en « euros »… C’est là qu’advient le hiatus ! Et ce n’est même pas drôle… Comme ne sont pas drôles les gestuelles grassement sexuelles dont Laurent Pelly truffe sa mise en scène au point, non de gêner, mais de consterner. Or il nous a habitués à plus de finesse, notamment dans ses Offenbach précédents. Là où tout le piment vient du jeu des faux-semblants entre demi-monde et grand monde, la société est ici nivelée et sans charme : Gardefeu et Bobinet ont l’élégance d’un sous-dandy des Bains-Douches…
Certes la distribution est jeune et sexy (et tant mieux, vu les jeux de scène déshabillés) ; mais elle n’est pas offenbachienne. Acteurs chantants ou chanteurs lyriques, Offenbach a un style – comme Mozart, Rossini ou Messager ! Or ici les voix chantées se perdent en forçant le mot, ou l’inverse : on ne comprend ni Métella, ni la Baronne, ni Gabrielle ; mais on entend mal Bobinet, sans parler du Brésilien de Tansel Akzeybeck dont les interventions laissent pantois. Quant aux dialogues parlés, ils crient en permanence, ce qui s’ajoute à une agitation désordonnée qui se voudrait rythme mais n’est que nerf. Deux interprètes seulement possèdent l’équilibre et l’aisance pour servir Offenbach : le Prosper de Thomas Morris et, triomphateur de la soirée, le Gondremarck de Laurent Naouri. Avec eux, on se reprend à penser que parler en projetant une voix audible et pourtant non forcée, ou chanter agréablement en se faisant comprendre, c’est possible ! Le chef Gérard Korsten est certes très attentif à tous, mais sa lecture aplanie ne fouille pas assez les reliefs d’une partition qui pourrait vibrionner beaucoup plus.
Laurent Naouri offre donc à la soirée ses plus beaux moments. Méconnaissable en Baron sauf par une stature qu’il s’amuse à rendre cartoonesque, complètement pris dans le vertige des nuits parisiennes, de façon très physique mais – lui – jamais vulgaire, il se « lâche » autant que son personnage, quand les autres jouent à jouer. Pas un mot ne se perd – sans que cela sente jamais l’effort –, le timbre virevolte entre autorité et enfance, le corps sort de ses gongs : il est idéalement bouffe. On aurait aimé que toute la soirée le soit, et donne à La Vie parisienne son pétillant de champagne au lieu de se contenter d’un mousseux cheap. Pour Offenbach, c’est une vraie faute de goût – comme, pour des Louboutin, des semelles anti-dérapantes : que les pieds de la Parisienne fassent toc-toc-toc, mais avec style !
C.C.
À lire : L'Avant-Scène Opéra n° 206
© Opéra de Lyon / Michel Cavalca