Roberto Alagna (Faust) et Paul Gay (Méphistophélès)
Après trois reprises en ouverture de saison (la production de Salomé d’André Engel, La Clémence de Titus par Willy Decker et le Tannhäuser de Robert Carsen), voici donc ce qui devait être l’événement de la rentrée de l’Opéra de Paris – sa première nouvelle production –, et qui s’est transformé en clash artistique (la mésentente de Roberto Alagna et d’Alain Lombard, le départ du chef à une semaine des représentations, son remplacement in extremis par Alain Altinoglu…), puis en tour de force social (la grève des techniciens au soir de la première). C’est peu de dire que de mauvaises fées se sont penchées sur le berceau de cette production. Mais que dire de Jean-Louis Martinoty, qui semble les avoir aiguillonnées plus encore ?
Ce n’est pas de la mise en scène, c’est un sondage SOFRES. Tous les échantillons représentatifs sont là. Un choix de gueules cassées ? dans l’ordre : le cul-de-jatte, l’éclopé guidant l’aveugle, le gazé. Un rappel des corps de la nation ? la magistrature et la médecine, l’armée et le clergé, personne ne manque à l’appel. Une imagerie scientifico-alchimiste ? tout y est : l’homoncule en son utérus artificiel, le rhinocéros de Louis XV, la lunette d’astronomie, un écorché de travail, un univers miniaturisé, une bibliothèque borgésienne, quelques touches de gréco-égypto-franc-maçonno-médiéval dans le décor. Vous préférez les démonstrations idéologiques ? choisissez : la tête coupée de Marguerite devient relique votive (ah ! le poids de la religion !), le Veau d’or abreuve ses fidèles de pétrole et organise un marathon de danse (oh ! les dangers du dieu dollar !)… Stop. Un tel fatras, démultiplié par les grands moyens de Bastille, confine à l’indigestion.
Reste encore deux reproches – les plus vivaces peut-être – à l’adresse du metteur en scène. Comment oser un Faust en play-back (les 9/10e du premier acte étant mimés par Rémy Corrazza tandis que la voix d’Alagna émane du décor) sans penser un instant que les spectateurs vont être déconcentrés par le procédé et passer leur temps à tenter de « synchroniser » mentalement le son et l’image ?! Et comment oser faire rire toute la salle lors de la mort de Marguerite – qui court se jeter d’elle-même sous la guillotine comme sous le coup d’une envie pressante ?!!
Dès la dernière note achevée, un flot de huées comme rarement Bastille en accueille (et qui n’ont rien à voir avec les huées parisiano-parisiennes des soirs de première…) s’adresse à l’auteur de cette « mise en scène », hélas reçues par les oreilles d’Alain Altinoglu qui ne les mérite en rien. Le chef conduit son Faust avec énergie et implication, battue souple et déliée qui colle bien au galbe mélodique de Gounod. Vrai chef d’opéra, qui est autant dans la fosse que sur le plateau, avec les chanteurs. Ces derniers, égarés dans ce décor qui, voulant tout dire, ne dit plus rien, sont abandonnés à une direction d’acteur évasive qui laisse transparaître leurs défauts : des manières appuyées pour Inva Mula, au demeurant Marguerite stylée mais dont le français un peu exotique se démarque d’un plateau par ailleurs excellemment « bien-disant » ; un non-jeu permanent pour Roberto Alagna, qui chante souvent très bien, parfois périlleusement au point de manquer craquer l’ut de sa cavatine, mais professe une égalité d’humeur totale et se contente de poses héritées des années 50 (il faut dire que son costume, entre pantalon moulant de torero et T-shirt doré de super-héros, est en soi un hymne au kitsch…). Tassis Christoyannis est un Valentin solide, que la mise en scène n’épargne guère. Paul Gay possède indéniablement la silhouette longue et vibrionnante de Méphisto – à défaut d’en avoir les graves. Mais sa présence racée et venimeuse rachète cette lacune de tessiture – les actes IV et V le portent toutefois à ses limites.
On voudrait garder à l’esprit quelques beaux moments : la scène de l’église notamment, enfin épurée et réduite à l’essentiel, et où l’émotion commence à poindre… avant d’être laminée par la vision grand-guignolesque de l’infanticide de Marguerite. On en reste accablé.
C.C.Inva Mula (Marguerite) et Tassis Christoyannis (Valentin)
Crédit : Opéra national de Paris/ Charles Duprat