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Angela Denoke (Emilia Marty), Johan Reuter (Jaroslav Prus), Raymond Very (Albert Gregor), Peter Hoare (Vitek), Jochen Schmeckenbecher (Dr. Kolenaty).

1992 : Gérard Mortier invite Claudio Abbado et Klaus Michael Grüber à présenter De la maison des morts à un Salzbourg encore marqué par l’ère Karajan. Six ans plus tard, Sylvain Cambreling et Christoph Marthaler s’associent pour une Katia Kabanova devenue depuis un classique, reprise encore à Paris cette saison. Janacek et Marthaler reviennent cette année chez Mozart avec une Affaire Makropoulos dirigée par Esa-Pekka Salonen : une idée de Markus Hinterhäuser, en charge des concerts du festival depuis 2006, qui assure l’intérim de la direction entre le départ de Jürgen Flimm et l’arrivée d’Alexander Pereira. Heureuse idée au demeurant, à en juger par l’accueil réservé à la première.

Le metteur en scène suisse propose pourtant une lecture sans illusion et sans concession de l’histoire d’Emilia Marty, dont la fin paraît tout sauf un hymne à la vie ; on se demande si elle meurt dans la paix intérieure, comme il veut nous le montrer : les hommes qu’elle a fascinés sont pris de tremblements parkinsoniens, implacable symptôme d’une vieillesse annoncée – cela rappelle aussi les tics de son Wozzeck. Triste vieillesse étayée par ces appareils qui vous aident à marcher encore dans les maisons de retraite. Triste vie marquée par la répétition des mêmes gestes, par les gestes de l’amour plus que par l’amour lui-même. Si elle reste star, celle-ci perd de son aura, ni la diva imaginée par Nikolaus Lehnhoff pour Anja Silja, inoubliable dans son costume de paon, ni la vamp hollywoodienne conçue par Krzysztof Warlikowski. Marthaler démythifie l’héroïne et, du coup, lui enlève son mystère, alors qu’il semble en faire un avatar de Lulu, narcissique – cette façon de montrer ses jambes – et lointaine, irrémédiablement seule surtout, comme déjà morte avant de mourir, n’existant peut-être que par la grâce du fantasme des hommes – souvent exposée sur un podium comme Lulu dans sa cage. On ne la verra d’ailleurs pas dans sa loge de diva : décor unique de tribunal – après leur pitoyable étreinte, Prus et Emilia surgiront lentement de dessous une table. A l’inverse de la générosité de Warlikowski, Marthaler joue ici sur une extrême concentration, parfois à la limite de l’austérité, qui n’exclut pas la dérision grinçante. Cette lecture s’accommode-t-elle difficilement de la convention de l’opéra, même détournée par la modernité de Janacek ? Entre les actes, le metteur en scène rappelle le théâtre, ose des silences, fige ses personnages ou ses figurants, leur impose l’absurdité de gestes ou de déplacements répétés – ce machiniste qui offre des fleurs à une dame âgée, écho de celles dont on couvre la Marty, avant de la raccompagner, et réitère son geste à l’infini. Il fait précéder l’introduction orchestrale d’un dialogue en sur-titrage tiré du livret et de lui-même – deux femmes, une jeune et une vieille, échangent, clope au bec et sans parler, leurs avis sur la durée idéale de la vie. Marthaler, cette fois, n’a pas sombré dans le misérabilisme ou détourné la partition. A-t-il pour autant renouvelé la réussite de sa Katia Kabanova ? ce travail à la fois impeccable et implacable laisse un peu froid, moins inventif que celui de Lehnhoff à Glyndebourne, moins flamboyant que celui de Warlikowski à Bastille.

Esa-Pekka Salonen laisse lui aussi une impression un rien mitigée, comme s’il n’arrivait pas à obtenir de la luxuriante Philharmonie de Vienne les couleurs spécifiques de la musique de Janacek. Comme si chef et orchestre se cherchaient un peu eux-mêmes et peinaient à instaurer entre eux une véritable rencontre. Il y a, du coup, ici ou là, des baisses de tension. Mais le chef finlandais n’en impose pas moins une lecture d’une clarté, d’une limpidité exemplaires, avec des moments superbes : l’introduction orchestrale de l’opéra, où il installe d’emblée une urgence rythmique à la Stravinsky ; la scène finale, où il atteint à un lyrisme grandiose ; ces passages où il fait grincer les instruments pour mieux souligner le ridicule des situations. Voilà longtemps qu’Angela Denoke s’est approprié la musique de Janacek, elle qui fut la Katia de Christoph Marthaler. Après avoir été la Marty de Warlikowski, elle est aujourd’hui celle de Marthaler, vêtue d’une robe ressemblant à une toile de Mondrian : d’une voix peu amène, elle fait encore une fois un atout, poussée ici dans ses derniers retranchements par un rôle difficile, techniquement assez solide pour trouver, à défaut de couleurs qu’elle ne possède pas, un éventail de nuances à la mesure des différents visages de l’insaisissable héroïne. Et la distribution frise la perfection, avec le Gregor éperdu et effrayé de Raymond Very, à l’aigu infaillible, le Prus cynique et dupé au timbre superbe de Johan Reuter, le touchant Janek d’Aleš Briscein, naguère Jenik de La Fiancée vendue à Garnier, la fraîche Krista de Jurgita Adamonyté, la piquante Femme de ménage de Linda Ormiston – déjà présent à Glyndebourne, le vétéran Ryland Davies reprend du service en Hauk-Šendorf impayable et cinglé. Pas L’Affaire du siècle, mais une très bonne Affaire… ou le contraire.

D.V.M.


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Angela Denoke (Emilia Marty), Raymond Very (Albert Gregor), Ales Briscein (Janek).


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Raymond Very (Albert Gregor), Ales Briscein (Janek), Peter Hoare (Vitek) Jurgita Adamonyte (Krista), Ryland Davies (Hauk-Sendorf), Angela Denoke (Emilia Marty). Photos : Walter Mair.