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Richard Croft (Idomeneo), Sophie Karthäuser (Ilia) et Kate Lindsey (Idamante).


Le Festival Mozart organisé par le Théâtre des Champs-Elysées met à l’honneur Idomeneo, et le sert de façon royale avec la baguette de Jérémie Rhorer qui, s’il était encore besoin, confirme la constance de son exceptionnel talent dans ce répertoire. L’équilibre entre la fougue et le galbe est parfait, le dynamisme est fait d’énergie et non de force et porte à leur meilleur les coloris anciens du Cercle de l’Harmonie, qui sonne comme – qui sait – la partition pouvait sonner dans l’esprit du compositeur : exactement détaillée dans le bouquet de timbres qui la compose, et parfaitement fondue dans le mouvement musical qu’elle emporte. Rhorer est décidément un grand chef de théâtre aussi, qui dose très justement les enchaînements et l’architecture d’ensemble, reste aussi présent au plateau qu’à la fosse et, toujours, dégage ce « plaisir » d’œuvrer ensemble qui est un autre des ingrédients de son rayonnement. Quelques options sont plus appuyées (un continuo presque débordant), et les tempi du III, osés très distendus, auraient mieux tenu la distance si la vacuité qui plombait la mise en scène n’était venue les transformer en lenteur.

Car si l’Idomeneo qui monte de l’orchestre est merveille, celui qui se déroule sur le plateau est un insondable ratage, qui se voudrait conceptuel et élégant quand il est seulement creux et étique. Du Stéphane Braunschweig habituel, on retrouve les costumes contemporains (Thibault Vancraenenbroeck, qui n’imprime ici aucune marque particulière à ses créations), et l’abstraction de décors nus et constants ; cette fois, une sorte de tube cathodique qui servira à l’occasion de cale de bateau, conçu dans un lamellé géant type Ikea et très seventies. Le tout se construit/déconstruit de façon répétitive, gratuite et lassante, n’évoque rien si ce n’est un design froid et mondialisé. Ce dénuement scénographique – forme et fond –, les interprètes l’habitent en étant plus ou moins bien dirigés, plus ou moins bien mozartiens aussi.

Outre un étrange costume de pseudo-pope, des entrées en scène intempestives et une gesticulation indigne de son rang, le Grand Prêtre de Nigel Robson affiche une voix et un style tous deux déplacés. Alexandra Coku joue le jeu d’une Elettra en chaleur, mais lui demander ainsi de se caresser lascivement à chacune de ses apparitions relève de la goujaterie, et n’empêche pas l’interprète de sous-chanter son premier air (qui ne passe pas la rampe… depuis l’avant-scène !) et de supprimer la majorité des aigus de « D’Oreste, d’Ajace » de façon éhontée… sans que le public s’en aperçoive apparemment puisqu’il lui fait une ovation finale – qu’elle accueille d’ailleurs avec dix fois plus d’affectation que la discrète Sophie Karthäuser, pourtant au niveau, elle. Son Ilia ranime le souvenir de sa belle prestation à Aix en 2009 : intelligence du texte et du style, nuance et musicalité, elle donne à sa princesse troyenne et sa tendresse et sa force intérieure, d’un goût idéal. Ovationnée aussi, Kate Lindsey offre certes un Idamante physiquement crédible, très androgyne et juvénile, mais d’un timbre engorgé qui ne convainc pas. Richard Croft reste un grand artiste : capable, par sa remarquable technique, de pallier à la seconde près les défaillances d’une voix qui souvent se relâche ou se détimbre, en faisant de chaque nuance (même involontaire) une intention ; pénétré de son personnage au point de lui donner une épaisseur humaine touchante ; et, toujours, maître d’une virtuosité qui lui fait passer excellemment un « Fuor del mar » que peu de ténors peuvent assumer. Belle Voix de Neptune montant de la fosse d’orchestre (Nahuel di Pierro), remarquable Arbace de Paolo Fanale.

Si Festival mozartien il y a là, c’est d’une fête musicale qu’il s’agit, attifée d’habits dramaturgiques de vent.

C.C.