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Aleksandrs Antonenko (Otello) et Renée Fleming (Desdémone)


Otello sans Iago, c’est un grand dépit ; mais Otello avec un Maure et une Vénitienne de première classe, c’est quand même un grand plaisir. Passons donc sur la prestation surlignée dans le bouffon et le grossier du Iago de Lucio Gallo, qui ajoute à une lecture superficielle et caricaturale de son personnage une voix aboyante, aux accents tantôt bâillés tantôt étouffés, et qui tente de racheter par les décibels ce qui lui fait défaut en projection carnassière. Comme il nous manque, pour balancer l’intrigue passionnelle d’Otello et Desdemona, ce Iago qui lui donnerait toute sa cruauté vive, toute sa dimension tragique ! Mais retenons avant tout les émotions offertes par Aleksandrs Antonenko et Renée Fleming.

Le premier tient son rang d’un bout à l’autre de la soirée, et semble ne faire qu’une bouchée de la vocalité si redoutable d’Otello : timbre flamboyant et profond, aigus aisés, longueur de souffle et – mieux encore – beau style, sachant jouer de la nuance et de la couleur jusque dans les moments les plus tendus ou épuisants. Sa haute stature incarne de façon très crédible le Maure, aussi bien son autorité militaire que sa violence animale plus ou moins contenue. Et il sait parfaitement doser ce « plus ou moins », parvenant à nous intéresser à sa complexe relation à Iago, à nous toucher dans ses élans possessifs vers Desdemona, et à nous happer dans le trou noir mental qui peu à peu l’aspire. Chant supérieur et belle incarnation, subtile et engagée : nous voilà comblés. Tout au plus regrette-t-on les tics gratuits et risibles de la direction d’acteurs d’Andreï Serban qui, à force de cascades inélégantes dans les moments les plus émouvants, fait sourire le public le plus captivé.

Desdemona échappe à cela, portée par une Renée Fleming plus « blond vénitien » que jamais, belle silhouette et présence attachante : naïve, fébrile, abandonnée, résignée, suppliante, elle plonge dans son personnage avec générosité et le sert d’une voix au charme moiré, où les quelques stridences du haut-medium sont enrobées par le moelleux d’un aigu voluptueux et par un grave poitriné avec élégance. Son art de la nuance – attaques flottantes, phrasés coulés – atteint au plus haut avec un début d’acte IV (Chanson du Saule et Ave Maria) écouté dans un silence religieux que l’on connaît rarement à l’Opéra Bastille : Verdi y met à nu la voix de sa Desdemona, et Renée Fleming y ose une vérité remarquable. Le reste du plateau navigue entre le très bon (l’Emilia de Nona Javakhidze, ou même le Roderigo de Francisco Almanza, malgré une autre idée stupide de la direction d’acteurs : le faire entrer, blessé, à jardin, pour courir s’effondrer à cour…), l’un peu fade (le Cassio de Michael Fabiano) et le franchement déplaisant (le Lodovico de Carlo Cigni, grossissant sa voix).

C’est un Verdi lyrique et enrobé qui monte de la fosse sous la direction de Marco Armiliato, si attentif au plateau qu’il en est parfois plus distant vis-à-vis de l’orchestre. Le chef nous offre de très beaux moments, à commencer par une scène d’ouverture et de tempête impressionnante (excellents chœurs de l’Opéra), même si l’on ne retrouve pas le même tellurisme que Currentzis avait instillé à l’Orchestre de l’Opéra dans Macbeth en 2009. Quant à la reprise de la production d’Andreï Serban, elle conserve le bénéfice d’une lisibilité absolue : la scénographie est épurée, avec ses murs chaulés aux lignes sobres, seulement teintés des projections vidéos de nuages façon Magritte ; elle propose une Chypre contemporaine, début de siècle (le XXe), où l’alliance de l’île avec Venise contre les Ottomans devient, de façon à peine suggérée (par le jeu des accessoires, du mobilier, des costumes), le protectorat britannique opposé aux Turcs. Quelques problèmes de lumière le soir de la première (notamment le retard à l’allumage des éclairages du feu de joie) n’empêchent pas de belles atmosphères de clair-obscur, de voilages ouverts sur la Méditerranée, de contre-jours élégants. Mais la mise en espace des chœurs est faible (si la tempête fait son effet grâce aux vidéos, le feu de joie est ridicule), et Serban se laisse aller à des gratuités lassantes et déconcentrantes – objets et meubles bruyamment fracassés ici et là, gesticulations erratiques que cette reprise aurait dû mieux adapter aux interprètes – ou à des facilités périlleuses si le chanteur n’est pas excellent (le Credo de Iago, rideau baissé, à l’avant-scène). Une dramaturgie plus ramassée aurait porté cet Otello au plus haut.

C.C.

 

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Nona Javakhidze (Emilia) et Renée Fleming (Desdémone)

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Aleksandrs Antonenko (Otello) et Renée Fleming (Desdémone). Crédit : Opéra national de Paris/ Ian Patrick