Fortunato (Valérie Condoluci), Giuseppa, femme de Mateo (Catherine Hunold), Mateo Falcone (Jean-Philippe Lafont). © LPC I Stéphanie Jachimiak
Théodore Gouvy (1819-1898) fut typiquement un bi-national. De langue et d'origine françaises, il naquit aux confins de la Lorraine et de la Sarre, mais les hasards d'une annexion temporaire le firent naître du côté prussien de la frontière, et il ne devint citoyen français qu'à trente-deux ans, après une formation musicale et un début de carrière tout parisiens. Mais si Berlioz loua sa musique, ses symphonies, ses quatuors, son Requiem, furent mieux reçus en Allemagne, où il termina sa longue carrière par de grands oratorios. Cependant, au terme d'un long oubli, c'est aujourd'hui la France, et tout particulièrement la Lorraine qui l'a remis à l'honneur notamment grâce à de nombreux disques. Mais ces deux opéras demeuraient inconnus, au point que Mateo Falcone, inédit et non joué de son vivant (on ignore jusqu'à la date exacte de sa composition) vient seulement de connaître sa création après avoir été enfin publié. Il était donc tout naturel que l'Opéra-Théâtre de Metz ait pris cette initiative.
D'une concision et d'une force tragique impressionnantes, la nouvelle de Mérimée, dont César Cui tira aussi un opéra, est une terrible histoire de vendetta où, tétanisé par un code de l'honneur exigeant, Mateo Falcone tue son enfant de deux ans de sa main pour avoir trahi l'hospitalité sacrée de sa demeure en dénonçant un bandit assassin, qui s'y était réfugié, en se laissant séduire par une belle montre en or que lui propose le capitaine des carabiniers, son cousin. Cette action, simple et rapide en sa violence, se prête parfaitement à un opéra en un acte, et le livret rédigé par le compositeur lui-même (en allemand, situation typique pour Gouvy, mais René et Samuel Auclair en ont préparé une adaptation française qui s'imposait, et d'ailleurs exemplaire) est d'une concision et d'une efficacité parfaites. Il en résulte quarante minutes de musique sans longueurs ni temps morts, ouvertes et clôturées par un chant traditionnel chanté par l'enfant en langue corse. Gouvy, musicien au métier impeccable, n'avait rien d'un avant-gardiste, et son langage demeure sagement dans la tradition des premiers romantiques. Weber (l'arrivée des gendarmes, accompagnée par les cors, rappelle les chasseurs du Freischütz). Schumann parfois, mais surtout Mendelssohn: cette musique agréable et toujours bien faite demeure un peu conventionnelle (à grands renforts de septièmes diminuées aux moments tragiques) et manque de force et de personnalité. On rêve ce qu'eût tiré de pareil sujet un Puccini (la chute brutale du rideau fait penser à celle du Tabarro). Je ne pense donc pas que cette œuvre brève et modeste soit promise à une grande carrière, et pourtant l'entreprise en valait sans doute la peine.
La mise en scène d'Eric Chevalier (dont c'étaient les adieux au Théâtre de Metz au terme de deux décennies de beau travail) demeure fort classique (avec une modeste participation video d'Ange Leccia dédoublant en photos gros-plan le visage de l'enfant), mais c'était sans doute le parti le plus sage. Le petit héros principal, le Fortunato bien mal nommé, est très bien incarné par le travesti de Valérie Condolucci, le ténor de Florian Laconi campant un adjudant Gamba séducteur à souhait , le sombre Eric Martin-Bonnet un bandit Sampiero au rôle trop bref, mais si le vétéran Jean-Philippe Laffont possède toujours la puissante et autoritaire silhouette du rôle titre, les moyens vocaux n'y sont plus, et le vibrato est définitivement brouillé avec les exigences minimales de la justesse. Jacques Mercier dirige le National de Lorraine en bonne forme avec le talent et l'élan qu'on lui connaît. Pour compléter ce programme si bref, présenter le cycle des Douze chants de l'Ile de Corse pour Choeur de femmes a cappella d'Henri Tomasi semblait un complément traditionnel, d'autant plus que la majorité de ces pièces s'inspire directement des chants de vendetta ou des voceri funéraires propres au terrible folklore de l'Ile de Beauté. Mais ces harmonisations, très conventionnelles, me semblent avoir mal vieilli, et leur interprétation par le chœur maison, avec deux solistes à la justesse parfois défaillante, revêtait un fâcheux aspect de patronage. Les bonnes intentions, si méritoires qu'elles soient, ne suffiront sans doute à ressusciter ni Tomasi, ni Gouvy, je souhaite me tromper.
H.H.