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Comment une représentation plombée peut-elle se transformer en triomphe final ? par la grâce de son interprète principale quand, comme Ermonela Jaho dans cette Luisa Miller lyonnaise, elle porte si haut l’art du chant et de l’incarnation théâtrale qu’elle nous fait oublier tout le reste. Et parmi ce « reste », il faut pourtant compter un Rodolfo étranglé et détonnant, toujours au bord de la rupture ou du yodel (Adam Diegel, en méforme ce soir-là ?), deux méchants sans vraie présence – l’un trop éteint (le Comte Walter de Riccardo Zanellato), l’autre trop grand-guignolesque (le Wurm raspoutinien d’Alexei Tikhomirov) –, et une Federica à l’émission dure et instable (Mariana Carnovali). Quant à la mise en scène, congelée, elle met les chœurs à la pose, fige tout et tout le monde dans un décor de hangar sombre, et mêle les époques (robes à panier et fauteuils club) sans être lisiblement conceptuelle ou figuraliste. C’est dès la première scène que David Alden plonge l’univers de Luisa dans cette atmosphère et cette esthétique d’enterrement : une idée qui aurait pu offrir un contraste frappant une fois le drame noué, notamment quand le mariage de Rodolfo et Federica s’approche, mais se trouve éventée dès le départ, provoquant ensuite une sensation de déjà-vu sans effet.

Aux côtés d’Ermonela Jaho, c’est-à-dire à son niveau de qualité, on retiendra heureusement le Miller de Sebastian Catana, fort bien chantant. Leur duo au début du troisième acte est magnifique d’émotion pudique. C’est d’ailleurs dans les scènes intimistes que la direction d’acteurs de David Alden sonne le plus juste : elle parvient même à faire du duo Luisa / Wurm un moment de tension palpable et effrayante – sauf quand il prend le nom de l’intendant au pied de la lettre (« ver » en allemand) et le fait ramper jusqu’aux dessous de sa victime, littéralisme ridicule ici. Il habite également tout le finale (dialogue et empoisonnement des deux amants) sans académisme, jouant intelligemment de la distance des cœurs et des corps. Ailleurs, trop de signaux explicites et juxtaposés viennent surligner le texte ou l’idée que s’en fait le metteur en scène – un élément de décor par-ci, une pseudo-chorégraphie du chœur par-là, tous plus exogènes et vains les uns que les autres. La soirée est portée par la baguette remarquable de Kazushi Ono, extrêmement attentif au plateau (le redoutable quatuor a cappella s’en sort grâce à lui), donnant un Verdi fougueux et vif, un peu sec parfois, mais aux colorations soignées jusque dans l’âpre.

Sans doute la longue fréquentation par Ermonela Jaho du rôle de Violetta attise encore plus la ressemblance entre Luisa et la Traviata : comme elle, Luisa est au bord du bonheur quand on la force à y renoncer ; comme elle, elle est sacrifiée par le père de son amant, plus soucieux d’un beau mariage pour sa progéniture ; comme elle, elle doit renier son amour en une lettre qui déclenche la fureur vengeresse de celui qu’elle aime. Mais la ressemblance est musicale aussi : ce chant qui doit être belcantiste, orné et léger, aigu et brillant dans la joie, mais aussi plus grave et ombré, profond et incarné dans le drame, ce chant qui quitte à la fin la virtuosité pour le cantabile éthéré, qui ose la voix de la mort s’élevant aux cieux en un fil prêt à se rompre, c’est déjà, en 1849, celui de la future Violetta. Ermonela Jaho en possède tous les secrets : registres homogènes, longue tessiture rayonnante dans l’aigu et charnelle dans un beau bas-medium sonore sans être forcé, virtuosité impeccable de précision dentelée et palette de nuances (y compris dans les attaques aiguës), à faire pâlir beaucoup de ses consoeurs. Incarnation exceptionnelle, enfin, subtile et intérieure, qui vous happe jusqu’au dernier souffle de sa Luisa. Emue aux larmes le soir de la dernière, devant l’ovation d’un public qui avait compris ce qu’elle avait donné, d’arte e d’amore.

C.C.


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Photos : Jean-Louis Fernandez