Une fois n’est pas coutume : L’Avant-Scène Opéra n’a pas l’habitude de rendre compte d’opéras exécutés en version de concert. Mais ici il s’agit d’un rare chef-d’œuvre, totalement inconnu, tel qu’il en existe encore trop dans la production de Jean-Philippe Rameau. Le programme de la Cité de la Musique nous annonçait une fin de spectacle vers 22 h 30, il dura une grande heure de plus : les organisateurs s’étaient sans doute basés sur l’unique enregistrement, introuvable depuis des décennies, et paru en 1980 – un 33 tours du défunt Bach Festival de Londres, jamais édité en CD. Or il y manquait près de trois quarts d’heure de musique, et lorsque Hugo Reyne et ses musiciens de la Simphonie du Marais eurent enfin effectué un « filage » en continu de la partition, il était trop tard pour avancer l’heure du concert. Trop familière pour Rameau, pareille situation ne risquerait guère d’advenir pour les innombrables Haendel, Vivaldi et autres Cavalli saturant nos programmes.
Naïs, « opéra pour la Paix » (celle d’Aix-la-Chapelle mettant fin en 1748 à la Guerre de Succession d’Autriche ; mais n’étant pas achevée, l’œuvre ne put être donnée que l’année suivante), ressortit au genre de la « Pastorale héroïque », mais ses trois actes précédés d’un vaste Prologue égalent par leurs dimensions les plus grandes tragédies lyriques du compositeur. Les ouvrages de référence sur Rameau (y compris Gridlestone et Beaussant) parlent d’« œuvre mineure », et seul jusqu’ici Piotr Kaminski, dans ses Mille et un opéras (Fayard), a rendu pleinement justice à une partition regorgeant des plus somptueuses, des plus succulentes richesses. Parsemée de danses parmi les plus entraînantes de la plume ramiste, l’atmosphère demeure certes plus tendre que tragique, mais d’une émotion à la fois pudique et frémissante, et l’œuvre s’élève au moins une fois, dans la grande scène avec chœurs du début du troisième acte menant au cataclysme libérateur, à une des plus hautes cimes de grandeur dramatique de tout Rameau. Naïs est une nymphe marine dont les sœurs, comme son nom l’indique, ne sont autres que les Naïades. En fait, seul le Prologue, dépeignant les vains assauts des Titans et des Géants contre les Dieux de l’Olympe – ce qui se traduit d’emblée par l’une des ouvertures descriptives les plus audacieusement modernes de Rameau –, se rattache à la thématique de la célébration de la Paix.
Avec une distribution de luxe (l’admirable Mireille Delunsch en Naïs, l’infatigable Jean-Paul Fouchécourt, dont les moyens vocaux de véritable haute-contre démentent la toute petite taille en Neptune), Hugo Reyne anime ses musiciens et chanteurs avec une flamme, une fantaisie, mais aussi une intensité expressive qui font de cette soirée un inoubliable régal dont les trois heures et demie semblent brèves. Quelle chance, tout cela sera disponible dès cet été en CD, non point sur un label français, mais en coproduction avec l’ORF (radio autrichienne). Notre impatience est vive !
H.H.
PS. Naïs sera donné en ouverture du festival Musiques à la chabotterie le 19 juillet