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Second volet, après Jenufa en juin dernier, d’un cycle Janacek à l’Opéra national du Rhin mis en scène par Robert Carsen, L’Affaire Makropoulos se situe aux antipodes esthétiques, tant par le sujet que par l’écriture musicale. Et pourtant l’exacerbation lyrique est peut-être plus saisissante dans le second ouvrage que dans le premier, en dépit d’une intrigue dont les méandres juridiques et généalogiques risquent à tout moment de lasser l’attention.

Ce n’est que peu à peu que la trame se dévoile : vers 1575, Elina Makropoulos a bu un élixir de longue vie ; après trois siècles de jeunesse sous des noms différents, elle cherche à mettre la main sur le parchemin qui lui permettra de renouveler le bail tandis qu’Albert Gregor, descendant d’un enfant illégitime qu’elle a eu, vers 1800, avec le baron Ferdinand Prus, poursuit un procès contre Jaroslav Prus, petit-fils légitime du baron, chacun se prétendant héritier principal. Pour l’heure, Elina Makopoulos s’appelle Emilia Marty, elle est cantatrice ; très belle, blasée donc fatale, elle manipule les gens et finira par décider de retourner en poussière.

Comme dans Jenufa, le metteur en scène n’a pas cherché à transposer l’action et s’est montré soucieux, au contraire, de clarifier l’intrigue dans des décors qui entrent en résonance : la froideur d’une étude notariale avec ses étagères pleines de dossiers, la splendeur terrifiante d’un trône de Turandot, une loge de théâtre où les multiples robes de la cantatrice, jonchant le sol, ont servi de literie quand Emilia s’est offerte à Prus en échange du parchemin.

L’ouverture sert habilement de prologue muet : on y voit la cantatrice changer de costume, disparaître derrière le rideau comme si elle entrait en scène, revenir avec un bouquet de fleurs, cinq fois de suite. Au début de l’acte 2, l’habilleuse, sur l’avant-scène jonchée de bouquets, converse avec un machiniste occupé tout en haut à régler un projecteur : le théâtre, donc, toujours le théâtre, et la symbolique des fleurs, éphémères et splendides.

La direction d’acteurs ne laisse rien au hasard : rien de forcé dans le personnage glacial et touchant d’une Emilia qui évoque la Lulu de Louise Brooks, pas plus que dans l’impuissance et la naïveté des hommes qui subissent son ascendant. La jeune Krista (Angélique Noldus) apparaît comme le seul rayon de pure lumière.

La distribution ne révèle aucune faille. Dieu sait pourtant si cette partition met les voix à rude épreuve. Celle de Cheryl Barker est d’acier trempé, la relative faiblesse du grave relève de l’inégalité des rapports de force avec l’orchestre. Les quatre ténors jouent chacun dans un registre différent, du lyrique au bouffe, Enrico Casari, fragile (Janek), Charles Workman, grand bourgeois (Gregor), Guy de Mey (Vitek), clerc de notaire bien typé, et Andreas Jäggi (Hauk-Sendorf), vrai fou chantant. Face aux voix aiguës, Martin Barta (Prus) fait poids de toute l’autorité de son timbre de baryton. Le rôle du Dr Kalenaty, moins saillant quoique plus agité, est bien servi par Enric Martinez-Castignani.

Il est paradoxal que l’Orchestre Symphonique de Mulhouse ait été choisi pour affronter une partition autrement plus difficile que celle de Jenufa (confiée à l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg). Le mérite de Friedemann Layer n’en est que plus grand d’avoir réussi à obtenir un résultat d’une telle éloquence qui, sans approcher l’exceptionnelle qualité du plateau, lui offre un contrepoint solide.

G.C.

à lire : L'Affaire makropoulos, dans L'Avant-Scène Opéra n° 188


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Photos Alain Kaiser
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