Billy Budd reste à terre
L’Opéra néerlandais reprend la production de Billy Budd réalisée par Richard Jones en 2007 pour l’Opéra de Frankfurt. Si le parti pris de déplacer l’action hors d’un navire de guerre est préjudiciable, il s’agit d’un spectacle prenant et musicalement très fort sous la direction d’Ivor Bolton. Francfort, en 2007, marquait les débuts dans le rôle-titre de Peter Mattei. Amsterdam le reprend avec celui qui avait illuminé la production du dernier festival de Glyndebourne, le Sud-Africain Jacques Imbrailo.
Richard Jones et son scénographe Anthony McDonald nous transportent dans un univers qui n’est en rien celui du navire de la marine royale anglaise The Indomptable au moment des guerres napoléoniennes, mais, à l’aide d’un décor coulissant extrêmement efficace, celui d’une académie d’officiers de marine où sont formés aux exercices de guerre de jeunes cadets, avec une discipline brutale et raffinée, du genre de celle prodiguée dans les collèges anglais. L’action se passe à l’époque de Georges VI, soit celle de la création – comme en atteste, non sans ironie, le portrait du roi bègue dans le bureau du Capitaine Vere. Lieux possibles : un énorme gymnase d’entraînement avec des coursives laissant place à tous passages et voyeurismes, le bureau du Capitaine Vere, des douches et le dortoir des cadets avec lits superposés et vestiaires métalliques. L’élément marin en est totalement exclu et l’action se concentre sur toutes les tensions possibles dans cet univers plus peuplé d’adolescents que d’adultes. Aux scènes de nettoyage du pont, au I, se substitue une séance de gymnastique ; mais plus frustrant encore, la scène de l’assaut manqué du navire français est remplacée par un exercice de guerre dans le gymnase, certes spectaculaire et très malin dans sa réalisation mais peu crédible. Le fameux brouillard qui gâte l’assaut est figuré par une panne d’électricité. Quant à l’idée même de mutinerie, elle passe à la trappe. Quelques petits aménagements dans les costumes deviennent nécessaires, ainsi le vieux Dansker devient-il une espèce de surveillant de dortoir en blouse, le Capitaine d’armes Claggart est habillé comme le chef de rayon d’un tailleur chic londonien, quant aux marins en pyjamas… Curieusement, la caractérisation de certains personnages y gagne en clarté, moins fondus qu’ils sont dans la masse en uniforme, mais on reste un peu à distance du propos d’Herman Melville.
Heureusement, musicalement, c’est une belle réussite. Ivor Bolton ayant choisi de privilégier les instruments qui caractérisent les personnages, on entend une lecture assez passionnante de cette riche partition. Il laisse au Netherlands Philharmonic Orchestra la bride plus libre dans les interludes (la version jouée est celle en deux actes de 1964) mais, comme cela arrive parfois, l’esthétique d’un spectacle influençant la musique, on n’y hume jamais l’élément marin.
Est-ce aussi par ce qu’il a une liberté d’expression plus grande que dans la mise en scène de Michael Grandage à Glyndebourne, Jacques Imbrailo s’investit davantage dans son personnage, s’y montre plus juvénile et moins boutonné. Il incarne celui qui fascine véritablement camarades et officiers. Son air nocturne, chanté avec une extrême pureté vocale et beaucoup d’émotion, est un grand moment de chant et de théâtre dans son évidente régression infantile – enfermé dans son vestiaire dont il inspecte l’étanchéité à l’aide d’allumettes. Heureusement que vocalement, le Claggart de Clive Bayley possède la brutalité et la malignité du rôle, car la mise en scène le réduit à une espèce de surveillant de dortoir un peu trop prompt à inspecter les douches et le sommeil de ces soi-disant marins.
Tous les seconds rôles et silhouettes sont particulièrement bien tenus comme le Dansker très humain du vétéran Gwynne Howell, le novice d’Andrew Tortise et Redburn par Christopher Purves. Le point faible de la distribution, celui qui est le plus victime d’un dispositif scénique qui recule les chanteurs dans les profondeurs de la scène et absorbe leurs voix dans les hauteurs, rendant l’anglais très peu compréhensible depuis la salle, est le Capitaine Vere de John Mark Ainsley. Il s’en tirait mieux à Glyndebourne dans un dispositif plus confiné mais sa voix est trop petite en projection, trop courte d’aigus, et il n’a ni l’autorité scénique d’un capitaine de vaisseau (comment l’aurait-il avec ce parti pris ?) ni la grande humanité nécessaire pour intéresser le spectateur au prologue et à l’épilogue – qui donnent toutes les clés de compréhension du personnage et, par là même, de l’œuvre.
O.B.Photos : Clärchen & Matthias Baus